Lettre en réponse à Emmanuel Berl (mai 1957)a b
Je crains que M. Berl ne mobilise la Vérité, la Raison, la Justice, le Droit, et Romain Rolland, que pour triompher d’un épouvantail auquel il accroche mon nom. Je n’attaquais rien de ce qu’il défend avec tant de passion et de juste colère. Je suis très loin de mépriser l’Histoire ; je dis seulement que pour l’Histoire l’Europe existe, dans la mesure exacte où M. Berl lui-même peut écrire une Histoire de l’Europe. Je suis très loin de qualifier de sophistes ceux qui pensent néanmoins que l’Europe reste à « faire » ; je dis seulement qu’on ne peut la vouloir et la faire — donc l’unir par des liens fédéraux — si d’abord on nie qu’elle existe comme entité de culture et Aventure unique. Je ne pense pas avoir recommandé l’imposture ou la tyrannie, le refus du Droit, la guerre à l’Est, le chauvinisme européen, etc.
J’approuve au contraire M. Berl quand il crie Vive l’Europe ! contre tout cela. Mais pourquoi le crier contre moi, comme si vraiment j’avais préconisé le mensonge utile et le « massacre des affamés » ? Je demandais simplement qu’on cesse de mettre en doute l’existence même de cette Europe qu’il faut sauver.