[p. 199]

Souvenirs d’enfance et de jeunesse, par Philippe Godet (avril 1929)a

Quand avec un air fin mais un ton convaincu l’on a répété dans une ballade fameuse « Que voulez-vous, je suis bourgeois ! », l’on peut se permettre quelques malices, quelques jeux d’esprit ou de méchanceté, assuré que l’on est désormais d’être absous avec le sourire par la clientèle des librairies romandes, en mal de cadeaux de Noël ou de première communion. Parmi les compatriotes d’Amiel, Godet restera l’un des rares qui ont réussi à se connaître et que cela n’a point stérilisé : sa nature, il est vrai, s’y prêtait, peu complexe et comme réduite à deux dimensions ; la conscience ne pouvait y tuer un lyrisme quasi inexistant, mais bien y exciter un esprit critique fort alerte. Jugez-en à la façon dont il parle de « ses quelques succès, si disproportionnés avec son mérite ». Il ajoute : « j’ai eu la chance de discerner très jeune, avec une clairvoyance singulière, mes propres limites, et j’ai eu la sagesse de ne rien tenter au-delà ». C’est le comble de l’économie bourgeoise que cette administration exacte d’un petit capital. Le contraire de la poésie, bien sûr. Mais on n’en demande pas tant dans les familles. Et qu’importe si la perspective manque souvent à ces récits : ce n’est point un paysage d’âme qu’on y cherche, mais l’anecdote bien tournée, des noms connus. Tout est sur le même plan ; le dessin d’ailleurs est élégant.

Mais comme tout cela manque de chair. Et de rêve. Est-ce qu’en ce temps-là on ne se nourrissait vraiment que de petits mots d’esprit et de malices ? Noisettes et cornichons ?