L’ordre social. Le Libéralisme. L’inspiration (novembre 1929)a
L’ordre social
Il y avait une fois un jeune homme comme les autres. Soudain il lui pousse des ailes, une grande paire d’ailes. Allait-on s’émerveiller ? Mais déjà Freud expliquait le monstre, les chaires le dénonçaient, et les précieuses trouvaient cela d’un romantisme ! ma chère, d’un mauvais goût ! Cependant le jeune homme agitait ses ailes non sans une ingénue fierté. Mais au courant d’air s’enrhuma le grand-papa. On craignit de le perdre. — « Eh ! quoi, — vinrent lui dire ses amis, — l’orgueil t’aveugle-t-il ? Veux-tu conserver, ô cruel, des ailes qui donnent des rhumes à ton grand-père et sont en scandale aux meilleurs esprits ? Voici que tu t’apprêtes visiblement à t’envoler, laissant des parents inconsolables, ô sans cœur, ô pervers, ô disciple de Nietzsche ! » — Sous le poids de cette accusation, comment ne point céder : il fit couper ses ailes. On le félicita de son retour à l’état normal, qui est pédestre. Mais à partir de ce jour, on lui fit sentir qu’il était devenu beaucoup moins intéressant.
Celui qui a des ailes sera persécuté à cause de ses ailes, mais celui qui n’en a pas sera méprisé parce qu’il n’en a pas.
Le libéralisme
Seigneur ! clamaient-ils, combien complexes sont les problèmes que vous proposez à notre bonne volonté gémissante !
Dieu, dans sa pitié, leur envoya un ange porteur d’une solution fort simple qui d’ailleurs était la bonne, car le grand Remède, c’est un Simple.
Des hurlements de rage ne tardèrent point à s’élever de toutes parts. Les uns défendaient la Démocratie outragée, les autres disaient qu’il n’y a plus de morale, et ces jeunes gens ont une façon de trancher les questions qui vous désarme. Craignant qu’on ne lui fît un mauvais parti, l’ange trouva son salut dans un subterfuge : il insinua qu’il parlait au nom d’une secte orientale. Aussitôt la discussion de reprendre, et l’on parla défense de l’Occident. L’ange s’enfuit par l’un des nombreux trous de leurs raisonnements.
L’inspiration
Comme le poète terminait sa théorie sur la nature de l’inspiration, un doute lui vint. Il alla au cinéma. On donnait un film voluptueux. Il aima l’héroïne, mais sans espoir. Il lui écrivit, en sortant de là, dans une crèmerie pleine de couples à la mode. Mais en écrivant il pensait à une femme blonde assise près de lui. Ayant demandé un timbre pour attirer l’attention de la femme blonde — sans résultat —, il écrivit une adresse réelle, et mit la lettre dans la première boîte venue. Le lendemain, il reçut une réponse : « Vous avez commis une erreur, cher ami, mais bien excusable de la part d’un poète en état, sans doute, d’inspiration. Je trouve dans une enveloppe qu’hier vous m’adressâtes une déclaration d’amour destinée à une femme blonde. Je suis noire. Mais je sais qui c’est. J’ai fait suivre. Alexandrine un jour m’a laissé entendre qu’elle vous aime. Elle attend votre lettre depuis des mois. Je pense que ces lignes vous trouveront réunis. Avec ma bénédiction, je suis votre amie Joséphine. » — Le poète reprit son manuscrit et conclut : « L’inspiration est le nom qu’on donne en poésie à une suite de malentendus heureusement enchaînés. » Cette histoire, en effet, lui valut une Muse.