Le feu
Quelquefois au coin du feu un grand silence appelle une autre histoire, car il met le vide sur les têtes. Le vide est quelque chose d’insatiable…
Alors elle se mit à conter :
« Les Indiens n’admettaient rien.
Sauf le Sommeil, le plus profond Oubli, où l’on était en n’étant pas. Pour le joindre, il fallait se jeter dans l’Abîme.
Tout ce qui n’était que précipice était admis.
Mais bientôt ils ont vu que le vide, et l’abîme, et le précipice, quelques-uns se mettaient à en douter. Tous pouvaient y entrer, mais ils ne pouvaient pas se rejoindre [p. 126] vraiment dans l’Oubli. Ce n’était pas le vrai commencement de tout.
Alors des prêtres leur ont dit que l’on pouvait admettre la Lumière. Que la Lumière était comme le Vide.
Puis d’autres prêtres ont trouvé que la lumière signifie : l’Eau, parce que l’Eau rejette les corps et ne les veut pas, c’est le Vide. L’Eau a été admise.
Et de l’Eau est sorti le Monstre-qui-sort-de-l’Eau, insatiable, et qui veut tout manger. C’était le Vide, le Monstre fut admis.
Et le Monstre leur fit craindre le Feu, l’ennemi de l’Eau, en leur disant que le Feu était le plus puissant de tous, dévorant tout, voulant que rien n’existe ou n’apparaisse. Et que partout où la forme venait, le Feu se jetait dessus avec ses Flammes : c’était le Néant le plus fort.
Et la prière a été inventée, avec des chants, pour apprivoiser Flamme et Feu. Les femmes se jetaient dans la Flamme parce que seule une destruction peut nourrir ou détruire une destruction. On n’avait pas besoin du Feu pour se chauffer ou pour cuire les aliments sous les Tropiques. Le Feu n’était que l’invité qui détruisait forêts, gens et maisons, étant admis… »
Nous regardions le feu dans la cheminée. Je pensais à l’amour insatiable autant que le vide et le feu, et j’admettais l’amour, la femme-flamme.
Je pensais à la joie qui fait souffrir et qui rend seul.
À l’Occident qui veut le plein mais crée le vide, nourrissant malgré lui les monstres et le feu.
Et à la voie négative des mystiques, témoins du Vide parmi nous, la voie qui mène au Commencement de tout, qui est la vraie Fin.