Journal n°139

«Nous voulons libérer la parole»

image-3.jpgAlors que les témoignages affluent par millions sur les hashtags #metoo et #balancetonporc lancés suite à l’affaire Harvey Weinstein, la planète entière semble prendre la mesure de l’ampleur du harcèlement sexuel et sexiste à travers le monde. Les milieux académiques ne sont pas épargnés. «L’Université n’est pas un espace imperméable. Les rapports sociaux et les problématiques sont les mêmes que partout ailleurs», commente la sociologue Marylène Lieber.

En 2016, l’UNIGE en a pris conscience avec stupéfaction suite à l’enquête sur les carrières académiques menée par Klea Faniko, qui révélait un sexisme important au sein de l’institution. «Ce fut un véritable électrochoc pour toute notre institution, confirme le recteur. La lutte contre le harcèlement constitue non seulement un impératif pour créer des conditions de travail et d’études respectueux de toutes et tous, mais c’est aussi une nécessité pour favoriser les carrières féminines et faire de notre institution un lieu attractif pour toutes les chercheuses du monde. C’est une exigence pour notre excellence scientifique mais aussi un instrument indispensable d’une politique active en matière d’égalité des chances.»

Le déclic a été provoqué par le cas d’une jeune chercheuse

Pour passer de la parole aux actes, la lutte contre le harcèlement a été inscrite comme une priorité. Un groupe de travail a été mis sur pied dans la foulée, chargé de faire des propositions concrètes pour améliorer la situation. Parmi celles-ci, la campagne de sensibilisation lancée ces jours.

«Le déclic a été provoqué par le cas d’une jeune chercheuse à l’avenir académique prometteur qui a choisi de quitter notre institution à la suite de harcèlement sur son lieu de travail, explique Brigitte Mantilleri, directrice du Service égalité. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait, mais ça a été celle de trop. Avec cette campagne, nous espérons pouvoir mieux prévenir ce type de situations, en donnant à toute personne concernée, victime ou témoin de ce genre d’actes, les moyens d’agir. Il ne s’agit pas de culpabiliser, mais de forcer la prise de conscience. Chacun doit mesurer les effets dévastateurs que le harcèlement peut causer et prendre ses responsabilités.»

En commençant par se mettre d’accord sur les définitions. En la matière, c’est l’article 4 de la Loi sur l’égalité entre hommes et femmes (LEg) qui fait référence. Par harcèlement sexuel, elle entend tout comportement à connotation sexuelle ou fondé sur le sexe (sexiste), non souhaité par la personne qui y est confrontée, quel que soit l’endroit où il se produit. Pour déterminer s’il y a lieu de parler de harcèlement sexuel, c’est le désagrément subi qui est pris en compte. Ni l’intention ni la répétition ne sont des conditions nécessaires. Bien évidemment, la victime de ces comportements devra fournir des preuves de ce qu’elle a vécu.

Dans un milieu fortement hiérarchisé, avec de grandes dépendances interpersonnelles, les victimes ont peur des représailles

Faut-il encore oser dénoncer? «Dans un milieu comme l’université, fortement hiérarchisé, avec de grandes dépendances interpersonnelles, les victimes ont peur des représailles, souligne Brigitte Mantilleri. Quant aux témoins, ils ne savent souvent pas comment réagir et préfèrent se taire. Nous voulons libérer la parole, lutter contre les abus de pouvoir et briser cette omerta.»

Pour ce faire, une cellule d’écoute et de conseils, externe et totalement confidentielle est ouverte depuis le 20 novembre 2017. Deux psychologues répondent au téléphone (079 684 11 08 / 079 915 50 26) ou à l’e-mail confiance(at)unige.ch. Elles prodiguent conseils et écoutes sur rendez-vous, accompagnent et guident pour certaines démarches. Mandatées par l’UNIGE, elles n’ont aucun lien avec l’institution. Seul un rapport quantitatif sera transmis une fois par semestre pour permettre d’évaluer l’état de la situation et instaurer des mesures complémentaires. «Nous souhaitions une solution qui encourage les personnes à parler sans les mettre en danger, commente Brigitte Mantilleri, qui a dirigé le groupe de travail. Après réflexion, nous avons opté pour ce système de cellule externe.»

La campagne est visible dans les différents bâtiments: messages (disques collés au sol et affiches) qui interpellent et font réagir, opérations de sensibilisation et stands d’information. Ces actions s’accompagnent de la publication du guide Gardons les yeux grands ouverts! Harcèlement: informer, prévenir et se défendre.

Édité en français et en anglais, il s’adresse à trois catégories de personnes – les personnes harcelées, les responsables hiérarchiques et les témoins – et vise à réduire la confusion existante dans le domaine. Il réunit les informations utiles en matière de harcèlement sexuel à l’Université: contacts, structures, définitions, conseils pratiques, références et articles de lois.

À noter que, côté estudiantin, la question mobilise depuis un certain temps, ce dont témoigne la constitution, en 2015, d’un collectif contre les violences sexistes et le harcèlement sexuel (CELVS) et celle d’une cellule d’écoute au sein de la CUAE.

«Une campagne ne règle pas tout, conclut Marylène Lieber, mais elle a le mérite de donner un signal fort et de marquer clairement la limite entre comportements acceptables et inacceptables.»  —

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