Journal n°139

Accélérer les neurones trop lents permet d’éviter des troubles du comportement

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Lors du stade fœtal, des millions de neurones naissent dans les parois des ventricules du cerveau avant de migrer vers leur emplacement définitif dans le cortex cérébral. Si cette migration n’aboutit pas, le nouveau-né peut souffrir de conséquences graves comme  une déficience intellectuelle. Comme elle le rapporte dans un article paru le 27 octobre dans la revue Nature Communications, une équipe de chercheurs menée par Jozsef Kiss, professeur au Département de neurosciences fondamentales (Faculté de médecine) a découvert qu’un simple retard provoque lui aussi des troubles comportementaux et que ces derniers sont dus à une activité anormalement faible des neurones retardataires qui entraîne un déficit de connexions interneuronales. Mieux: les neuroscientifiques genevois sont parvenus à corriger l’activité des neurones concernés, et à rétablir les connexions manquantes, évitant de ce fait l’émergence de troubles du comportement.

Des signaux moléculaires contrôlent le tempo afin que chacun des millions de neurones arrive au bon endroit au bon moment

La migration des neurones  vers leur place définitive a lieu entre la 6e et la 16e semaine de grossesse. Ce processus est régulé par de nombreux signaux moléculaires qui contrôlent le tempo afin que chacun des millions de neurones arrive au bon endroit au bon moment. Si cette migration n’a pas lieu, le nouveau-né subira d’importantes déficiences mentales ou des crises d’épilepsie.

Pour savoir ce qui se passe lorsque les neurones arrivent bien au bon endroit mais en retard, les chercheurs ont manipulé in utero la signalisation Wnt, un régulateur de la vitesse de migration, dans quelques milliers de neurones chez le rat. Après avoir vérifié que les neurones étaient bien à leur place, ils ont effectué différents tests de comportement sur les rats, une fois ceux-ci devenus adultes.

En marquant les neurones retardataires, nous avons observé que ceux-ci reçoivent moins de fibres et, de ce fait, créent moins de contacts synaptiques

Les neuroscientifiques ont constaté que les rats présentaient des troubles de sociabilité et qu’ils développaient des comportements compulsifs répétés, deux symptômes en lien avec l’autisme chez l’être humain.

«En marquant les neurones retardataires, nous avons observé que ceux-ci reçoivent moins de fibres et, de ce fait, créent moins de contacts synaptiques avec leurs congénères, relève Jozsef Kiss. Ce manque de connexions entraîne une diminution de l’activité neuronale qui se répercute finalement sur les interactions entre l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit du cerveau.»

Chez le rat, les neurones disposent, lors de la période postnatale, d’une dizaine de jours seulement pour connecter les deux hémisphères, d’où l’impact d’un retard de quelques jours sur le développement du cerveau et les conséquences comportementales qui en découlent.

Nous avons ajouté aux neurones retardataires un gène permettant de contrôler à distance son activité,

Les chercheurs ont alors exploré la possibilité de rattraper le retard pris par les neurones qui n’ont pas migré à temps en stimulant leur activité à distance. «Nous avons ajouté aux neurones retardataires un gène permettant de contrôler à distance son activité, poursuit Jozsef Kiss. Nous les avons ensuite stimulés quand nous le souhaitions afin de tenter de rattraper le retard pris et le manque d’activité qui en découle. Avec succès.» En effet, grâce à cette activation à distance, les chercheurs ont constaté que les connexions entre les deux hémisphères s’établissent correctement et qu’aucun trouble du comportement n’apparaît chez le rat adulte.

«La manipulation doit se faire pendant la période critique de dix jours suivant la naissance, quand cette connexion inter-hémisphérique se développe chez le rat, prévient Jozsef Kiss. Après, il est trop tard. Quoi qu’il en soit, on peut désormais réfléchir à un moyen de détecter un retard dans la migration neuronale et dans les connexions inter-hémisphériques. Si l’on en découvre les causes, on pourrait envisager une thérapie – chez le rat pour l’instant – pendant la période critique et prévenir ainsi les déficits comportementaux.» —