Neurosciences, responsabilité morale et liberté
Mardi 14 mars à 20h
Uni Dufour (24 rue Général-Dufour 24, Genève)
Auditoire Piaget (U600, sous-sol)
Orateurs: Patrik Vuilleumier (neurologue, UNIGE)
Philippe Ducor (juriste et médecin, UNIGE)
Judy Illes (juriste, Stanford University)
Ronald de Sousa (philosophe, Université de Toronto)
Modérateur: Bertrand Kiefer
(médecin, rédacteur en chef, «Revue médicale suisse»)
Les progrès des neurosciences, plus particulièrement ceux de la neuroimagerie, interrogent la philosophie, la bioéthique, le droit et les sciences humaines. La table ronde «Neurosciences, responsabilité morale et liberté» s’insère dans un colloque international intitulé Quoi de neuf sous le crâne?, qui fera le point sur ces questions dans un esprit d'interdisciplinarité exigeante.
Voir la conscience en action
Patrik Vuilleumier s’exprimera sur les possibilités offertes par les nouvelles techniques d’imagerie cérébrale de révéler l’activité neuronale associée à diverses fonctions mentales, chez des sujets sains ou atteints de pathologies neuropsychiatriques. Car la neuroimagerie fonctionnelle permet aujourd’hui d’observer en direct les zones du cerveau qui s’activent lorsque le sujet perçoit, est ému, se souvient, choisit ou décide. L’équipe de Patrik Vuilleumier a pu démontrer que certaines réponses cérébrales peuvent être évoquées en dehors de la conscience du sujet, en particulier au sein des circuits liés aux émotions, et ces réponses peuvent influencer la perception et les actions du sujet de façon totalement involontaire. D’autres travaux de son équipe concernent les effets de l’hypnose sur le contrôle de la motricité. Ces recherches offrent de nouvelles perspectives sur les mécanismes cérébraux de la conscience et de la volonté.
De nouveaux moyens pour une nouvelle justice?
En fournissant de façon croissante des données "objectives" en relation avec les comportements humains, les neurosciences remettent en cause les critères utilisés pour juger - et éventuellement punir – ces comportements. Philippe Ducor décrira les méthodes traditionnelles d'évaluation de la capacité de discernement (telle personne est-elle en mesure de décider en connaissance de cause?) et de la responsabilité (doit-elle être punie pour ses actes?) prises en compte par les tribunaux. Il abordera ensuite l'impact potentiel des neurosciences modernes, telle l'imagerie, sur ces mêmes questions. Selon lui, ces nouveaux moyens ne changent pas fondamentalement les enjeux: en matière de justice, l'impact des méthodes d'évaluation de la personnalité, qu'elles soient traditionnelles ou modernes, dépend fortement de leur crédibilité scientifique et donc de leurs limites. Il est ainsi peu probable qu'une simple imagerie du cerveau - aussi sophistiquée fût-elle - permette d'innocenter, et, surtout, de condamner un ou une prévenue.
Qu’est-ce que la neuroéthique?
Depuis cinq ans, la neuroéthique se développe à un rythme très rapide. Aujourd’hui, des publications viennent étayer ce domaine dans un large spectre de revues scientifiques et d’organisations professionnelles. La neuroéthique a cerné des impératifs éthiques, légaux et sociaux pour les chercheurs, les institutions -universitaires ou privées- et les promoteurs de la recherche au sujet des découvertes cliniques qui surviennent dans le contexte de la recherche. Elle fait aussi sentir son impact lorsque, par exemple, de nouveaux médicaments ou de nouvelles techniques passent de la recherche fondamentale au chevet du malade. Enfin, elle joue le rôle d’interlocutrice de prédilection pour le domaine public en ce qui concerne des usages non réglementés. Actuellement, l’activité neuroéthique la plus importante a lieu aux États-Unis et au Canada, mais elle suscite un intérêt croissant à travers le monde, qui la renforce et lui garantit un avenir prometteur. De plus, un effort international soutenu a permis la mise en perspective de nouveaux enjeux pour la neuroéthique, que Judy Illes exposera. Ceux-ci ont trait aux définitions culturelles de l’acceptabilité morale de la recherche en neurosciences, au développement des capacités pour former de nouveaux chercheurs et pour générer une base universelle de connaissances, à l’intégrité de la recherche, à la recherche sur les populations vulnérables, à l’établissement de priorités en recherche, à l’évaluation de la recherche et à la participation du public.
La liberté à l’épreuve de nos gènes
Un des aperçus fondamentaux de la science cognitive rejoint non seulement la biologie évolutionnaire dont elle est issue, mais aussi la psychanalyse, qu'elle a cependant supplantée. Il s'agit de la prise de conscience de la surprenante opacité de nos états mentaux. Nous méconnaissons nos mobiles, nos pensées et même nos sentiments. Ronal de Sousa s’efforcera d’exprimer pourquoi, du point de vue de l’évolution, ce phénomène n'est pas aussi paradoxal qu'il en a l'air. En effet, pour accomplir plus sûrement les «desseins» qui favorisent leur réplication, les gènes ont parfois avantage à cacher ces mêmes desseins aux individus mêmes chargés de les réaliser. Comprendre les mécanismes neuraux qui sous-tendent de tels «stratagèmes» de manipulation des mobiles individuels et collectifs, ce serait mesurer combien les notions traditionnelles de «libre-arbitre», de «bien et de mal», et de «responsabilités» reposent sur des illusions systématiques. Si cette perspective est inquiétante à certains égards, elle permettra cependant de reconstituer, sur une base plus solide, un nouvel humanisme.
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