Projet

Le groupe de recherche travaillant sur l’histoire de l’allaitement maternel a obtenu du FNS un subside Sinergia sur trois ans pour réaliser le projet de recherche : « Lactation in History: a Crosscultural Research on Suckling Practices, Representations of Breastfeeding and Politics of Maternity in a European Context » (requérante principale prof. Yasmina Foehr-Janssens, Unige). Les quatre requérantes responsables des équipes sont Yasmina Foehr-Yanssens (prof. Unige, littérature française médiévale), Daniela Solfaroli Camillocci (dr. Unige, Institut d’Histoire de la Réformation), Véronique Dasen (prof. Unifr, art et archéologie classique), et Irene Maffi (prof. Unil, anthropologie culturelle et sociale).

Le projet a pour objectif d’étudier l’allaitement comme une réalité historique et culturelle complexe. Il s’agit de mettre en évidence comment les discours, les représentations et les pratiques relatifs à  la lactation et  l’alimentation des nourrissons se développent et évoluent de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui. Les significations que prennent les liens entre l’allaitement et la maternité ont des résonances religieuses, médicales, politiques et artistiques particulières en fonction des différents contextes culturels étudiés.

À toutes époques, l'allaitement fait l'objet d'une surdétermination symbolique qui démontre  qu’on ne saurait réduire sa compréhension à une simple pratique de maternage  relevant de la sphère domestique. Le lait et le sein s’exposent dans leur fonction nourricière, tandis que la lactation donne lieu à des représentations de la puissance fécondante. Nombreuses sont les questions que posent ces mises en scène, notamment en ce qui concerne la construction des rapports sociaux de sexe.

La recherche envisage trois axes principaux : 

- L'allaitement et les modèles maternels : les femmes entre discours médicaux, politiques étatiques et pratiques individuelles. 

- Le lait, entre nourriture maternelle et nourriture spirituelle.

- Le sein maternel: imaginaire et représentations

Le dispositif de recherche repose sur quatre équipes interdisciplinaires organisées selon un principe chronologique : Antiquité, Moyen Âge, époque moderne et période contemporaine. Le projet intègre les méthodes des différentes disciplines représentées et s'appuie sur des sources variées, allant de textes religieux, médicaux et littéraires à des œuvres d'art en passant par des objets de la culture maternelle. 


Cliquez sur les titres ci-dessous pour afficher davantage :

Antiquité

La Prof. Véronique Dasen dirige le volet consacré à l'Antiquité.

Un premier axe concerne l'étude des mythes d’allaitement interspécifique. De nombreux récits mettent en scène un petit humain allaité par un animal (louve, chienne, biche, chèvre…) ou, plus rarement, une femme allaitant un animal. Le thème occupe un rôle très important dans l’imaginaire, étroitement associé à celui de l'enfant abandonné. Nous examinerons la signification de ce motif qui s'inscrit dans une longue durée. On le retrouve autant dans les mythes anciens (Zeus nourri par la chèvre Amalthée, Romulus et Rémus nourris par la louve) que dans les hagiographies tardoantiques et médiévales, tel saint Etienne nourri par une biche.

Un deuxième axe approfondira la question de la représentation du sein nourricier, maternel ou mercenaire, quasi-absent de l'iconographie antique. Le sein allaitant est-il un tabou? L'étude du scandale causé par le célèbre tableau du peintre Zeuxis, montrant une centauresse allaitant son petit, apportera des éléments de réponse.

Le dernier axe se rapporte à la culture matérielle des enfants. L'étude des pratiques alimentaires antiques et de leur impact sur la santé et la mortalité infantile se fera notamment grâce à l'analyse de biberons antiques retrouvés dans des tombes d'enfants en Gaule romaine.

Participantes : Véronique Dasen, Francesca Prescendi, Doralice Fabiano, Irini Papaikonomou, Sandra Jaeggi.

Contact: veronique.dasen@unifr.ch

Moyen Âge

La recherche sur la période médiévale se concentre sur l’histoire de la littérature et l’histoire de l’art.

Le Moyen Âge est souvent associé au « silence » dans l’histoire des femmes et des mères, en raison du peu de témoignages dont les chercheurs disposent dès lors qu’ils s’intéressent à l’expérience de la maternité. Cependant, les thèses contestées de Philippe Ariès sur l’absence d’un sentiment de l’enfance au moyen âge ont suscité un réexamen critique de ce que l’on sait du rapport à la petite enfance dans la période pré-moderne. Elles ont donné l’impulsion à tout un travail de mise au jour de sources archéologiques, iconographiques et textuelles qui se poursuit encore actuellement. Le dépouillement des manuscrits et la prise en compte des textes littéraires, en particulier hagiographiques, qui demeuraient inconnus des chercheurs avant les années 1990, ont ouvert de nouvelles perspectives.

Dans ce contexte, il faut souligner la puissance et la récurrence des élaborations imaginaires entourant la lactation, notamment dans le domaine des représentations religieuses, qu’elles soient textuelles ou visuelles. La littérature hagiographique médiévale offre un réservoir de récits concernant la lactation de la Vierge ou de ses statues, les martyrs de vierges au cours desquels la poitrine est prise pour cible par les bourreaux, la transformation du sang de la victime en lait, ainsi que de récits d’allaitement plus ou moins merveilleux portant sur l’enfance des saints.

L’émergence et le succès croissant du motif iconographique de la vierge allaitante est un autre aspect de la puissance de cet imaginaire de l’allaitement, qui fera l’objet d’une enquête spécifique en histoire de l’art. Cette partie du projet vise à expliquer la discontinuité du thème iconographique pour la période médiévale. Il s’agira de comprendre quelles sont les conditions de naissance de cette iconographie en se concentrant sur la période de son apparition entre le 11e et le 12e siècle.

À première vue, les textes narratifs d’inspiration profane offrent beaucoup moins de prise à notre thématique. Cependant à y regarder de plus près, on y trouve nombre de mentions des soins dus aux nouveaux nés ainsi que d’autres qui concernent l’initiation des jeunes mères à l’allaitement. Or ces représentations n’ont pas pour seule fonction de créer un effet de réel. L’allaitement contribue à la construction de la filiation, il est encadré par des normes, par des rituels et par une répartition des rôles sexués qui ont toutes les chances de porter le poids de l’idéologie du lignage patrilinéaire. L’analyse détaillée des stratégies qui permettent d’amarrer fermement la notion d’allaitement à celle de la parenté fera l’objet d’une thèse de doctorat portant sur les histoires de femmes persécutées entre le XIIIe et le XVe siècle.

Par ailleurs, lorsqu’une référence un tant soit peu développée est faite à l’allaitement, la scène prend souvent place dans un contexte dramatique. Décès ou disparition de la mère, choix d’une nourrice, accident de la lactation, doutes sur la valeur du lait font écho à toutes les inquiétudes dont on trouve la trace dans les sociétés traditionnelles à propos de la survie des enfants en bas âge et que les enquêtes des historiens, des folkloristes et des ethnologues mettent au jour. La pratique de l’allaitement ne fait jamais l’économie d’une confrontation avec la vulnérabilité humaine. Une série d’enquêtes sur le traitement pathétique de l’enfant mourant au sein en contexte de famine, sur l’imaginaire genré de la poitrine, du sein et du giron et sur le célèbre récit de la guérison de Caradoc par le sein et le lait de son épouse dans la Première Continuation de Perceval viendront compléter le dispositif de la recherche.

Participantes : Yasmina Foehr-Janssens, Brigitte Roux, Céline Venturi.

Contact : Yasmina.Foehr@unige.ch

Époque moderne et contemporaine

L’équipe est composée de spécialistes de l’époque moderne et de la première époque contemporaine, qui travaillent dans les domaines de l’histoire culturelle, religieuse et sociale, de l’histoire socio-culturelle de la médecine, et de l’histoire de l’art.

À partir de l’étude des constructions discursives sur le lait maternel, et de la relation entre modèles et pratiques dans les champs religieux, artistique, médical et socio-politique, l’équipe entend aborder la question de la transmission de la santé, morale et physique, et dès lors analyser l’allaitement à la fois comme une variable des processus de construction identitaire (religieuse et socio-politique), et comme une métaphore pour qualifier les transferts spirituels, les passages d’une génération à l’autre, l’éducation et la transmission du savoir.

En fonction des compétences spécifiques et des intérêts de recherche des collaborateurs, quatre thèmes complémentaires sont ainsi envisagés :

1) Nourrir dans la foi : l’allaitement maternel et les rôles domestiques au prisme du discours confessionnel

2) Nourritures spirituelles : l’allaitement comme métaphore de l’imitation et de la transmission du savoir 

3) Lait de femme : génération et santé dans le discours des médecins et les pratiques médicales

4) La nutrition des nouveau-nés : entre santé publique, constructions morales et politiques sociales, 1850-1900.

Grâce à ces quatre axes de recherche, le projet entend explorer les liens et/ou les tensions entre les constructions normatives, les représentations et les pratiques de l’allaitement. Ainsi, tout en s’arrêtant sur les superpositions, les renvois, les confrontations entre les discours surgissant du domaine religieux, de la médecine, de la culture artistique et du débat sociopolitique, les collaborateurs de l’équipe ouvriront un important chantier de recherche sur les pratiques familiales de santé, et sur les dispositifs institutionnels relatifs à l’allaitement dans l’espace francophone.

Participant-e-s :  Francesca Arena, Daniela Solfaroli Camillocci, Jan Blanc, Andrea Carlino, Philip A. Rieder, Jade Sercomanens, Sarah Scholl.

Contact : Daniela.Solfaroli@unige.ch

Période contemporaine et anthropologie

Le sous-projet dirigé par Irene Maffi étudie dans une perspective anthropologique les pratiques contemporaines d’allaitement et les discours dominants qui les accompagnent en Suisse. D’une part, il se propose d’analyser les expériences et les pratiques des mères allaitant leur enfant, examinant leurs rapports avec les institutions de santé publique et les recommandations des expert-e-s. D’autre part, il vise à étudier les pratiques hospitalières liées à l’allaitement analysant les protocoles et les pratiques des professionnels de santé.

Des recherches de terrain permettront une étude approfondie des trajectoires d'allaitement des mères de l’initiation jusqu’au sevrage, tenant compte des divers éléments socioculturels qui les influencent - difficultés rencontrées, soutien reçu de la part des professionnel-le-s, participation du partenaire et des proches, conditions de vie, niveau d’éducation, activité professionnelles etc. Les recherches accorderont une attention particulière aux sentiments d’incompétence et/ou de compétence des mères en lien avec leur capacité, volonté, possibilité de nourrir leur enfant au sein. D’autre part, elles examineront les autres formes d’alimentation caractérisant les premiers mois de vie des nourrissons et leurs liens avec l’allaitement au sein. L’allaitement, pratique souvent décrite comme « naturelle », sera envisagé comme une activité « incorporée », mais culturellement déterminée, notamment en l'appréhendant comme un processus d’apprentissage. Les recherches se pencheront sur les circonstances matérielles, sociales et culturelles caractérisant la vie des nouvelles mères, dans le but de permettre une interrogation sur les capacités d'agentes des mères et la notion de choix dans le contexte changeant des normes définies par les institutions biomédicales.

Participantes : Irene Maffi, Caroline Chautems.

Contact : irene.maffi@unil.ch



Pour en savoir plus sur les membres du projet, consultez la page Équipes.