La recherche sur la période médiévale se concentre sur l’histoire de la littérature et l’histoire de l’art.
Le Moyen Âge est souvent associé au « silence » dans l’histoire des femmes et des mères, en raison du peu de témoignages dont les chercheurs disposent dès lors qu’ils s’intéressent à l’expérience de la maternité. Cependant, les thèses contestées de Philippe Ariès sur l’absence d’un sentiment de l’enfance au moyen âge ont suscité un réexamen critique de ce que l’on sait du rapport à la petite enfance dans la période pré-moderne. Elles ont donné l’impulsion à tout un travail de mise au jour de sources archéologiques, iconographiques et textuelles qui se poursuit encore actuellement. Le dépouillement des manuscrits et la prise en compte des textes littéraires, en particulier hagiographiques, qui demeuraient inconnus des chercheurs avant les années 1990, ont ouvert de nouvelles perspectives.
Dans ce contexte, il faut souligner la puissance et la récurrence des élaborations imaginaires entourant la lactation, notamment dans le domaine des représentations religieuses, qu’elles soient textuelles ou visuelles. La littérature hagiographique médiévale offre un réservoir de récits concernant la lactation de la Vierge ou de ses statues, les martyrs de vierges au cours desquels la poitrine est prise pour cible par les bourreaux, la transformation du sang de la victime en lait, ainsi que de récits d’allaitement plus ou moins merveilleux portant sur l’enfance des saints.
L’émergence et le succès croissant du motif iconographique de la vierge allaitante est un autre aspect de la puissance de cet imaginaire de l’allaitement, qui fera l’objet d’une enquête spécifique en histoire de l’art. Cette partie du projet vise à expliquer la discontinuité du thème iconographique pour la période médiévale. Il s’agira de comprendre quelles sont les conditions de naissance de cette iconographie en se concentrant sur la période de son apparition entre le 11e et le 12e siècle.
À première vue, les textes narratifs d’inspiration profane offrent beaucoup moins de prise à notre thématique. Cependant à y regarder de plus près, on y trouve nombre de mentions des soins dus aux nouveaux nés ainsi que d’autres qui concernent l’initiation des jeunes mères à l’allaitement. Or ces représentations n’ont pas pour seule fonction de créer un effet de réel. L’allaitement contribue à la construction de la filiation, il est encadré par des normes, par des rituels et par une répartition des rôles sexués qui ont toutes les chances de porter le poids de l’idéologie du lignage patrilinéaire. L’analyse détaillée des stratégies qui permettent d’amarrer fermement la notion d’allaitement à celle de la parenté fera l’objet d’une thèse de doctorat portant sur les histoires de femmes persécutées entre le XIIIe et le XVe siècle.
Par ailleurs, lorsqu’une référence un tant soit peu développée est faite à l’allaitement, la scène prend souvent place dans un contexte dramatique. Décès ou disparition de la mère, choix d’une nourrice, accident de la lactation, doutes sur la valeur du lait font écho à toutes les inquiétudes dont on trouve la trace dans les sociétés traditionnelles à propos de la survie des enfants en bas âge et que les enquêtes des historiens, des folkloristes et des ethnologues mettent au jour. La pratique de l’allaitement ne fait jamais l’économie d’une confrontation avec la vulnérabilité humaine. Une série d’enquêtes sur le traitement pathétique de l’enfant mourant au sein en contexte de famine, sur l’imaginaire genré de la poitrine, du sein et du giron et sur le célèbre récit de la guérison de Caradoc par le sein et le lait de son épouse dans la Première Continuation de Perceval viendront compléter le dispositif de la recherche.