Les « petits purs » (15 juin 1932)a
Adressons-nous ici aux jeunes bourgeois dégoûtés et vivants, à tous ceux que la Révolution trouble et bientôt va posséder. Dénonçons à leur intention un état d’esprit faussement révolutionnaire, qui pour certains d’entre eux, déjà est une tentation, pour d’autres au contraire un prétexte par trop facile à ne pas prendre place à nos côtés. Il s’agit de ce que nous baptiserons le petit-purisme.
Définition des « petits purs »
Tous ceux qui au nom de la stricte observance d’une doctrine qu’ils sont incapables de dominer, condamnent ce qui fait la vie même de la Révolution, c’est-à-dire : la critique violente et constructive de toutes les doctrines régnantes, y compris celles qui sont officiellement révolutionnaires.
Petits purs, ceux qui opposent des textes appris à tout effort créateur ; petits purs, ceux qui se prévalent d’un mot d’ordre contre ceux qui font l’ordre nouveau ; petits purs, ceux qui trouvent toujours de bonnes raisons pour nous accuser de dévier dès que nous les dépassons, petits purs ceux dont la violence n’est que rancœur de faibles accrochés à des dogmes, alors que la vraie violence révolutionnaire est une affirmation toujours nouvelle de la vie.
Le petit purisme est un danger permanent au sein de la jeunesse intellectuelle bourgeoise théoriquement acquise à la Révolution.
On reconnaît en lui les traits marquants de la mentalité petite-bourgeoise, cette avarice de tempérament, cette méfiance vis-à-vis de toute nouveauté réelle, ce besoin de contrôler la naissance des idées dangereuses, ce moralisme qui préfère la stérilité au risque. Les petits purs sont tout simplement les petits bourgeois de la Révolution.
Puis du fait qu’ils se disent révolutionnaires, ces bons petits intellectuels deviennent un danger pour la Révolution ou pour ne rien exagérer un poids mort, un facteur d’énervement, et une cible facile pour les réactionnaires. Et c’est bien pour cela qu’il nous paraît urgent de leur coller une étiquette qui les distingue, sans méprise possible, de tous ceux qui, purs ou impurs, travaillent effectivement à fonder quelque chose de neuf, de concret et d’humain.
Petits purs, conformistes à rebours, qu’ils aillent grossir [p. 7] les rangs de ceux que les rédacteurs de l’Ami du Peuple appellent des révolutionnaires en peau de lapin, comme si cela, notons-le en passant, excusait lesdits rédacteurs d’être eux-mêmes des fripons en peau de bourgeois ou des requins à l’eau de Coty.
Description des « petits purs »
De doux jeunes gens trop bien peignés viennent vous tenir des théories effarantes sur la violence à main armée, sur la nécessité de fusiller les trois quarts du genre humain, à commencer par bon nombre de révolutionnaires qui ne paraissent « pas très comme il faut », et, pour tout dire, « confusionnistes » à ces terroristes de café.
À les en croire, il n’y aurait rien d’autre à faire que d’installer des mitrailleuses tout le long de la fameuse « ligne générale » et d’abattre sans pitié tout ce qui dépasse.
Cependant cette défense meurtrière d’une position toute théorique se révélant pour l’instant malaisée, ils utilisent leurs loisirs à s’accuser réciproquement d’être de la police, ou bien à décréter sans rire que tel petit copain devient dangereusement trotskiste. Ils apportent une véritable coquetterie à souligner leur conformisme et leur touchante orthodoxie. Ils se soumettent éperdument à toutes les directives même si comme on le vit naguère, ces directives s’accompagnent d’un coup de pied au derrière. Drôles de révolutionnaires que l’on séduit par le mépris. Certes, ils sont conformistes pis qu’à la gauche, mais pas plus loin comme disait l’autre. Ils n’ont pas le format physique et moral nécessaire pour intégrer, rejeter, recréer l’apport des révolutions d’hier et leurs leçons. Ne nous y trompons pas : leur refus de penser par eux-mêmes en fonction des nécessités concrètes de l’heure et du lieu où ils vivent, la France de 1932, non la Russie de 1917, révèle un désespoir profond, une impuissance. Victimes de la pensée bourgeoise qu’ils s’épuisèrent à combattre sachant qu’ils ne pourraient que périr avec elle, ils vont chercher dans la lecture, pour eux très aride, de Marx, d’Engels, et de Hegel une leçon révolutionnaire que nous voulons tirer des seuls faits qui nous pressent. Et dès lors toutes les tares de l’orthodoxie les menacent : ils défendent un système, au lieu d’attaquer ce qui est ; ils témoignent de plus de mépris que d’amour vrai des hommes, ils abusent de l’empire et de la condamnation style Saint-Just, bref, ils rendent l’atmosphère révolutionnaire irrespirable, alors que justement la révolution doit être la plus ample et puissante respiration purificatrice, le parti de la Santé, comme l’écrivait Philippe Lamour.
Peu nous chaut une pureté dépourvue de violence. Nous sommes bien décidés à ne pas rancir dans une doctrine donnée. La seule pureté vraiment révolutionnaire, c’est celle de la violence spirituelle créatrice ; nous ne nous lasserons pas de le redire. Il y a des petits malins qui ont trouvé le joint ; pour rester absolument purs, absolument conformes au catéchisme centenaire d’un matérialisme d’ailleurs mal compris, ils ne bougent plus le petit doigt, s’arrêtent de penser et attendent l’avènement « dialectique », de l’inévitable. À cette pureté synonyme de mort nous opposerons notre violence personnelle, réelle, imparfaite, mais féconde. Nous prouverons le mouvement en marchant, quitte à marcher dans leurs plates-bandes bien ratissées. La violence joyeuse du créateur s’inquiète peu d’une discipline théorique ; elle trouve ses disciplines vivantes dans la résistance des faits, elle a son ressort dans la personne même, en tant que cette personne s’oppose à toutes les abstractions systématiques, qu’elles soient importées d’Amérique où elles sont mortelles, où de Russie, où pour l’heure elles sont vitales, peu importe. Ce n’est pas la pureté d’une conception cohérente et rationnelle que nous défendons, c’est l’homme en tant que l’état social actuel l’empêche atrocement d’être humain. Seule cette revendication perpétuelle de l’humain contre l’inhumain portera toujours en elle-même une garantie révolutionnaire évidente. Seule elle sera capable d’entraîner les masses.
Mais en voilà assez, n’abusons pas des vérités premières, encore que la pensée bourgeoise contemporaine, comme l’a fort bien montré Nizan, les tienne en particulière méfiance, mon but était simplement de définir une expression qui par la suite pourra nous être utile.
Petits purs, petits purs, faut-il rire ou se fâcher ?
Ceux qui se demandent si je suis bien « dans la ligne », ceux qui se demandent si je « remplis les conditions nécessaires » ; tous les suiveurs qui suivent en vérité des fantômes tués par leurs modèles, sont les orthodoxes qui momifient Lénine pour oser enfin l’adorer, tous les haineux qui trouveraient dans la perfidie bourgeoise un emploi plus subtil et mieux rétribué de leurs aigreurs, les gigolos drogués qui parlent de dialectique et croient que Hegel est arrivé, tous ceux qui haïssent la religion parce qu’elle les met à nu, prend en pitié leur sale caractère : tous ceux qui poursuivent l’humanité de sarcasmes qu’ils n’ont pas inventés, car la véritable invective n’est qu’une forme polémique de la générosité. Hélas, fallait-il perdre une page à dire qu’ils ne méritent pas de vous dégoûter de la Révolution, jeunes gens que la violence possède ?