Alexandre Marc et l’invention du personnalisme (1974)a
Comment nous sommes-nous rencontrés ? Rien de plus difficile à établir. J’ai tenté récemment de confronter mes souvenirs avec ceux d’Alexandre Marc, mais sur ce point, du moins, nos divergences menacent de demeurer irréductibles. Chacun se rappelle très bien certains détails précis — « Je t’entends encore me dire… » — mais les détails sont différents… Je donnerai donc ici ma version (qui est la bonne) telle que je l’ai publiée dans le Journal d’une époque, p. 93 et 94 :
Chez Charles Du Bos à Versailles, j’avais rencontré un personnage d’aspect massif, courtois et souriant, dont l’accent russe amenuisait les mots, encore qu’il parlât volontiers de « rigueur doctrinale et révolutionnaire ». Il me remit un manifeste de deux pages dont cette phrase me frappa, tapée en majuscules :
Ni individualistes ni collectivistes, nous sommes personnalistes !
À 15 ans, militant socialiste-révolutionnaire à Kiev, il avait échappé de justesse au poteau, pendant les journées d’Octobre. (Pris dans une rafle, des tracts plein les poches, on le pousse dans une file de prisonniers vers le lieu de l’exécution. Un officier de police inspecte la colonne : « Quel âge as-tu, toi ? » — « 15 ans. » L’officier le considère avec curiosité et tout [p. 52] d’un coup : « Tu as de la chance, c’est l’âge de mon fils ! Tiens, voilà tout ce que tu mérites [un grand coup de pied] et fiche-moi le camp ! ») Sa famille avait fui en Allemagne. À Fribourg-en-Brisgau, il avait suivi les cours de Husserl. Né juif, il devenait catholique, et signait Alexandre Marc des articles d’un ton violent qui paraissaient dans la revue Plans, où il m’introduisit bientôt. C’est par lui que j’ai connu — ou reconnu — le nom même du personnalisme et les rudiments d’une doctrine que ma récente découverte de la théologie barthienne me préparait à accueillir comme une expression adéquate de mes certitudes naissantes. Et c’est aussi par l’entremise de Marc, je pense, que je rencontre peu de temps après Emmanuel Mounier, qui préparait Esprit, et Arnaud Dandieu qui allait inspirer le groupe de L’Ordre nouveau. Une pléiade de petits foyers se met à scintiller sur le tableau de bord d’une génération qui démarre.
On voit que le faible élément d’incertitude qui subsiste sur ma première rencontre avec Alexandre Marc s’accentue fortement quand il s’agit de mes premiers contacts avec Mounier, qui fondait alors Esprit, avec Dandieu, qui allait inspirer L’Ordre nouveau, et tout d’abord avec Philippe Lamour et sa revue Plans, à laquelle je collabore en 1931. Une seule chose sûre et certaine dans tout cela : c’est Alexandre Marc qui a provoqué presque toutes les rencontres, combinaisons et permutations entre les groupes naissants et leurs animateurs, et cela durant une période que je puis facilement délimiter par deux repères personnels. Lorsque je m’installe à Paris, à l’automne de 1930, non seulement aucun de ceux que je viens de citer n’est connu du grand public — ce qui est normal, ils ont de 21 à 32 ans — mais encore ils ne se connaissent pas entre eux, même de nom. Deux ans plus tard, le 1er décembre 1932, paraît dans la NRF le Cahier de revendications où ils se voient tous réunis, aux côtés pour une fois de communistes comme Henri Lefebvre et Paul Nizan, et d’un représentant de la Jeune droite, Thierry Maulnier. Ce « front commun » ne durera pas au-delà de ma « présentation des jeunes groupes révolutionnaires ». Il n’importe : une génération s’est déclarée, et quels que soient les conflits qui l’animent, elle a reconnu les éléments fondamentaux d’une « cause commune » dans sa double opposition aux fascismes montants et au capitalisme en crise.
[p. 53] Mais ce dont il m’importe, ici, de témoigner, c’est du rôle de pionnier, d’inventeur d’idées et d’animateur d’actions communes qu’a joué dans ces années cruciales Alexandre Marc.
Que nous nous soyons rencontrés grâce à mon ami Max Dominicé, alors pasteur à Belleville, ou (comme je le crois plutôt) chez Charles Du Bos, profond et précieux critique catholique, voilà qui n’importe guère : dans les deux cas, nos chemins se croisaient au point précis où j’éprouvais le besoin de dépasser — sans rien en sacrifier d’ailleurs — à la fois mes récentes certitudes théologiques et ma passion de l’écriture en soi, de les dépasser ou transcender par « un acte de présence à la misère du siècle, une présence enfin qui soit un acte », ainsi que je l’écrirai un an plus tard — et c’est, je crois, la première expression de l’engagement, terme dont d’autres ont abusé depuis. Qu’on me pardonne, ici, quelques mots sur moi-même, qui me paraissent nécessaires pour mieux situer le point de départ et le champ de notre dialogue.
Sortant d’un bain de romantisme allemand, lu et vécu, à Vienne, à Budapest, au lac de Garde, en Souabe — fasciné par le surréalisme tout en dénonçant ses faiblesses métaphysiques et politiques1, moralement « libéré » comme on dit aujourd’hui, mais sentant la nécessité de me faire une morale personnelle, dont j’allais chercher le modèle dans la biographie de Goethe ; oscillant entre les extrêmes de Pascal et de Rimbaud, tout me portait à déboucher sur une action, fût-elle spirituelle d’abord, au-delà de la littérature. Alexandre Marc fut pour moi l’initiateur à la réalité politique. (Avant cela, mes options politiques s’étaient bornées à d’acerbes discussions avec les maurrassiens de Suisse romande, qui me traitaient de communiste, et à des manifestations de rue en faveur de Sacco et Vanzetti.) Mon premier article publié à Paris s’intitulait « Le péril Ford », mon premier petit livre Les Méfaits de l’instruction publique : anticapitaliste, antifasciste, mais non moins allergique à la « démocratie », bourgeoise ou stalinienne d’ailleurs, j’inclinais vers un anarchisme fort dépourvu de prolongements concrets…
[p. 54] Les formules du petit manifeste que me remit Alexandre Marc m’apportaient donc en clair l’énoncé le plus simple de ce que je tentais péniblement de décrypter, et croyais déjà sans le savoir.
Il y a plus de quarante ans de cela. Je le retrouve aujourd’hui inchangé dans les données de sa personne morale, et confirmé dans sa carrure morale. Pour l’apparence et le comportement, je l’ai un peu décrit plus haut. J’ajouterai à ces quelques traits : qu’il portait à Versailles des guêtres blanches, ce qui était banal à l’époque pour peu qu’on surveillât sa mise, mais je le mentionne pour attester ma bonne mémoire ; et que, s’il riait haut et fort, par éclats brusques, ou laissait un sourire un peu lointain plisser ses yeux, il n’en donnait pas moins une impression de sérieux profond et de maturité sans âge, due sans doute à tant d’expériences traumatisantes subies dans son adolescence — la mort plusieurs fois vue de près, les déracinements répétés — épreuves assumées sans faux-fuyants, transmuées en lucidité et nourrissant une volonté aussi tenace que dénuée d’illusions romantiques. Au demeurant, des mieux armé pour les luttes politiques et intellectuelles où notre génération se voyait jetée. Formé par l’Université allemande avant de terminer en France des études de droit et Sciences Po, il nous apportait à la fois ses connaissances, puisées aux sources de la phénoménologie de Husserl ou de l’interrogation existentielle de Heidegger, et le sens vécu de cette praxis dont les marxistes français ne faisaient que la théorie. Il nous communiquait sa passion pour Proudhon, mais aussi pour Lénine, celui de Que faire ? et des « minorités agissantes ». « Sans théorie révolutionnaire, pas d’action révolutionnaire » était son slogan préféré. Nous allions bientôt découvrir sa constante préoccupation de la tactique des petits groupes subversifs, alternant la rigueur doctrinale dans les « controverses de fractions » avec la souplesse dans l’action, et maniant tour à tour l’exclusive jusqu’à la scission qui mutile pour mieux sauver, et l’appel généreux aux larges regroupements…
Derrière tout cela, avant tout cela, motivant tout, une recherche de l’homme et de ses fins dernières, qui « passent infiniment l’homme » selon [p. 55] Pascal, recherche dont la nature proprement spirituelle devait se manifester d’abord — conformément à la tactique léniniste — par la formation d’un petit groupe à fortes tensions intérieures, qui se nomma le Club du Moulin-Vert (ou du moins c’est ainsi qu’on le nomme aujourd’hui dans les histoires de cette période).
L’idée œcuménique avait été lancée par quelques prélats anglicans et théologiens d’Amérique. Elle était patronnée, vigoureusement, par Nathan Soederblom, primat de Suède. Un secrétariat modeste, à Genève, s’efforçait d’entretenir un dialogue « préalable » au niveau des gouvernements ecclésiastiques, et la masse des fidèles ignorait tout. Le groupe de discussion réuni par Marc se place d’entrée de jeu sur un tout autre plan : celui des croyants, non des hiérarchies, des personnes, non des institutions, des réalités spirituelles vécues, non des formulations diplomatiques. Au surplus, l’entreprise est par nature paradoxale : il s’agit de chercher sinon l’union, du moins les voies d’une convergence, non point dans les compromis dogmatiques ni dans une tolérance émue, mais à partir des divergences les plus strictement formulées. Or c’est cela, justement, qui est personnaliste. Et le paradoxe œcuménique apparaît parfaitement homologue au paradoxe fédéraliste.
Je lis dans les travaux récents publiés sur l’Ordre nouveau que le Club du Moulin-Vert (qui se réunissait au-dessus d’un café de la rue du même nom) comportait une section de discussions religieuses et une section de recherches politiques. Je n’ai souvenir que de la première.
Nous étions une trentaine dans une salle nue qui me rappelait mes salles d’écoles primaires. Il y avait là des orthodoxes, Nicolas Berdiaev et le Père Boulgakov, le Père Gillet (ancien bénédictin) et le peintre Kowalewski, qui deviendra plus tard évêque ; des protestants comme les pasteurs Pierre Maury, Westphal, Dominicé, et Roland de Pury, encore étudiant ; une ou deux fois, W. Visser ’t Hooft, secrétaire général du « Conseil œcuménique [p. 56] en formation » ; et du côté catholique, Jacques Maritain, Gabriel Marcel, les Pères Congar et Daniélou, quelques dominicains de Juvisy, et beaucoup de jeunes « de toutes croyances ou incroyances » selon la formule de Péguy.
L’initiative de Marc anticipait de plusieurs décennies sur l’évolution de l’œcuménisme. On sait que c’est par l’action de la base, non plus par des négociations au sommet que le mouvement progresse désormais ; que de plus en plus il tend à réaliser au moyen de pratiques comme l’intercommunion « sauvage », ce que les instances ecclésiastiques se révèlent encore incapables d’autoriser. Certes, nous n’allions pas encore si loin. Nous en étions à découvrir que les passionnés d’orthodoxies au stade naissant — réinvention de la Réforme par Karl Barth, de Thomas d’Aquin par Maritain et Gilson, ou de la Sophiologie par Boulgakov — sont mieux capables de nouer le dialogue et de s’entendre que les tenants des libéralismes, des modernismes et des laxismes de toute espèce. (Cela devait changer, bien entendu, vingt ans plus tard, les orthodoxies se figeant en « lectures correctes » et l’élan spirituel passant pour hérésie…)
Il est probable que Mounier vint un beau soir au Club du Moulin-Vert ; il est certain que nous nous sommes connus grâce à Marc, qui m’avait d’abord introduit à la revue Plans, puis invité au colloque de Francfort pendant le Carnaval de 1932 où il tentait, avec Philippe Lamour, de fonder une internationale des jeunesses en rupture de partis, rupture de chauvinismes, rupture de marxismes et de fascismes. (Il y avait là parmi cent autres Otto Strasser, chef du Front-Noir, et Harro Schulze-Boysen, chef du groupe Gegner — Les Adversaires —, celui qui animera plus tard l’Orchestre rouge et mourra sous la hache des nazis.)
La rencontre d’Arnaud Dandieu et de Mounier, également provoquée par Marc, date d’octobre de cette même année. Le premier numéro d’Esprit vient de paraître. Il contient des articles de Marc et de moi. C’est dire que depuis plusieurs mois, nous travaillons avec Mounier, Izard, Galey, Touchard et toute l’équipe qui a préparé la revue, que nous voulons ouverte à tous les groupes personnalistes.
[p. 57] Certes, Esprit est l’enfant de Mounier. Quel que soit le nombre des articles que Marc, Dandieu, Aron, Dupuis, Prévost ou moi avons pu lui donner, elle reste marquée avant tout par le catholicisme progressiste et péguyste qu’annoncent, d’entrée de jeu, ses premiers directeurs.
La rencontre avec Dandieu a mal tourné, comme on peut le voir aux pages 100 à 102 de l’ouvrage intitulé Mounier et sa génération. Dans ses carnets intimes, Mounier se révèle allergique à Dandieu (« Cheveux longs rejetés en arrière, gros verres de myope… intellectuel jusqu’aux ongles ») et il traite l’Ordre nouveau de « petite église d’inquisiteurs ». Or, il sait bien que Marc et moi, qui faisons partie de sa première équipe de rédacteurs, appartenons avant tout à l’Ordre nouveau, et cela en dépit de l’attrait qu’exercent déjà sur Marc le catholicisme et Péguy ; et en dépit aussi de mes sérieuses divergences avec le nietzschéisme antichrétien qui anime alors plusieurs des dirigeants de l’Ordre nouveau.
Sur ces bases mouvantes, et malgré ces tensions — pas toujours déclarées, on vient de le voir — va s’engager une collaboration durable : de 1932 à 1940, nonobstant plusieurs brouilles majeures entre le groupe de l’ON et la revue Esprit, les liens personnels ne seront jamais coupés entre les deux branches principales du mouvement personnaliste. Marc aura son bureau à Esprit de 1932 à 1934. Je m’occuperai ensuite, dès 1936, de la partie littéraire de la revue et ne cesserai d’y collaborer jusqu’à la guerre.
Une page du carnet intime tenu par Mounier fin 1932 me paraît bien révélatrice des causes du conflit tour à tour déclaré ou latent qui ne cessa d’opposer l’ON en tant que groupe et le directeur d’Esprit.
9 novembre 1932.
Émouvante entrevue avec Maritain… Le numéro 2 lui a beaucoup déplu, non seulement par l’allure sommaire des articles venant de L’Ordre nouveau, mais aussi parce que l’idée de Révolution y semble devenir la valeur première pour l’ensemble de la collaboration (il est bien vrai que nous nous sommes un peu laissé entraîner).2
[p. 58] Quels sont ces articles « venant de l’ON » ? J’en trouve trois : Jean-Pierre Cartier (c’était moi) sur le procès d’un objecteur de conscience, et deux chroniques : « Le fédéralisme révolutionnaire », par R. Dupuis et A. Marc, et « Vers un ordre nouveau », par A. Marc. À coup sûr, ces trois textes sont les plus explosifs du numéro (avec peut-être quelques pages de Georges Izard sur « La patrie et la mort »). Mounier va-t-il rompre avec l’ON ? Il préfère écrire, au seuil du numéro : « Nous sommes le parti de l’esprit avant d’être le parti de la révolution. » Au numéro 4, Alexandre Marc donne une importante étude sur « Le prolétariat », où l’on peut lire que « la distribution planée sera assurée par un service social obligatoire. Par la participation de chacun aux nécessités communes, l’ordre nouveau supprimera les dernières traces de prolétarisation ». Mais quelques lignes de « chapeau » indiquent que la revue pourrait « contresigner de nombreuses analyses [de cette étude], non point toutefois le cadre systématique prématuré, ni toujours l’idéologie directrice, ni même le ton ». Ces précautions se répéteront désormais en tête de chaque article fourni par l’un des membres de l’ON. Elles confirment que l’apport du groupe, d’abord représenté par Alexandre Marc, fut de loin le plus « révolutionnaire » dans la période de lancement d’Esprit.
En revanche, je suis témoin qu’à quatre ou cinq reprises l’intervention de Marc a seule prévenu une rupture, décidée de part ou d’autre, sur une question de doctrine ou sur une saute d’humeur. Et je fus certes le premier à l’appuyer, comme je fus le seul à collaborer régulièrement aux deux revues, de leur numéro 1 jusqu’à la guerre. Mais le fait est que Marc et moi étions fort loin de soupçonner qu’en 1936, l’année même de la publication par L’ON de Mission ou démission de la France, réponse à Hitler, du numéro spécial intitulé Après les grèves (où l’ON prend parti pour l’occupation des usines, niant, contre Léon Blum, leur « illégalité ») et du Précis Ordre nouveau : pour la liberté, Mounier pouvait écrire à Berdiaev :
Je vous expliquerai moi-même, ou Maritain si vous le voyez avant, ce conflit avec L’Ordre nouveau… Le mouvement s’oriente nettement vers un fascisme antiouvrier et une technocratie petite-bourgeois (sic) que nous ne pouvons admettre.3
[p. 59] Ce n’est pas sans tristesse que je transcris ces phrases d’une injustice proprement aberrante4. À distance, j’en viens à penser que la seconde opinion de Mounier sur l’ON ne saurait s’expliquer que par une réaction de surcompensation à la première, que j’ai citée plus haut (conversation avec Maritain). Débordé sur sa gauche par l’ON, « entraîné » comme il l’écrit, et très soucieux de s’en défendre non seulement devant Maritain mais devant l’Église qui s’inquiète (il a pu craindre, en 1936 précisément, une condamnation d’Esprit en Cour de Rome), quand il écrit à Berdiaev, qui fut marxiste, Mounier cède aux clichés communistes sur l’ON, dans le même temps qu’il écrit à l’archevêque de Paris qu’Esprit est la seule revue « dirigée et rédigée pour une importante part par des catholiques » face aux « trois autres grandes revues qui sont de direction communiste », à savoir commune, Europe, et la NRF…5 Voilà qui eût amusé Paulhan. (Mais après tout, si la NRF est « communiste », pourquoi l’ON ne serait-il pas « fasciste » ?)
Quelle qu’ait été l’importance de ses apports à Plans et à Esprit, c’est dans L’Ordre nouveau que Marc allait trouver le climat le plus favorable à son génie d’initiateur.
Dandieu leader intellectuel incontesté, Aron le plus fertile en idées de mise en scène et de mise en valeur de nos doctrines, Marc animait en fait le groupe en tant que tel, moins par ses conceptions tactiques (tirées de Lénine) que par son action personnelle et quotidienne. « Rien ne vaut le contact d’homme à homme », répétait-il sans se lasser, insensible à nos [p. 60] plaisanteries ; et c’est sans doute aux longs entretiens quotidiens avec chacun des membres du groupe que l’ON dut sa cohésion de 1930 la guerre. Car jamais unité ne fut achevée à partir d’une plus radicale diversité.
Nous étions huit à diriger L’Ordre nouveau, si l’on en croit l’en-tête du numéro 2.
Arnaud Dandieu, brillant intellectuel de la grande tradition socialiste française, n’était pas seulement notre aîné : il était le seul d’entre nous qui ait lu tout Marx et tout Proudhon. Auteur d’une étude profondément originale sur la métaphore chez Marcel Proust, il poursuivait avec le docteur Eugène Minkowski des recherches psycholinguistiques qu’on eût appelées plus tard structuralistes. Et il venait de signer avec Robert Aron La Révolution nécessaire, un des rares livres de ce siècle qui renouvelle la pensée politique6. Bibliothécaire à la Nationale, Dandieu formait avec Georges Bataille et Henry Corbin, ses collègues, un trio d’une extrême densité intellectuelle et spirituelle. Robert Aron avait traversé le premier surréalisme, la Revue du cinéma et le théâtre Alfred Jarry (avec Artaud) avant de rencontrer Dandieu : le contraste de ces deux personnalités complémentaires fera la force des trois volumes qu’ils écrivent ensemble de 1932 à 1933. Daniel-Rops, professeur agrégé, commence une carrière littéraire, qu’il abandonnera plus tard pour sa fameuse Histoire du christianisme. Il est le seul d’entre nous à toucher le grand public en ce temps-là. (Plusieurs d’entre nous lui reprochent de le toucher seulement, sans le bousculer.) Claude Chevalley, mathématicien, est l’un des fondateurs du célèbre groupe « Bourbaki » ; il suit de près les travaux de l’École de Vienne (Wittgenstein, Carnap, Hubert), et écrit en collaboration fréquente avec Dandieu. René Dupuis et Jean jardin ont été condisciples de Marc à Sciences Po : le premier y retournera comme professeur ; le second, qui vient de l’Action française, est alors collaborateur de Dautry à la SNCF. Seul non-Français du groupe, je dirige les collections d’une petite maison d’édition protestante, dont je suis censé vivre, tout en écrivant pour la [p. 61] NRF, Esprit, L’Ordre nouveau, et publiant mes premiers livres. Alexandre Marc a travaillé chez Hachette, mais que fait-il et de quoi vit-il en 1933 ?
Voilà ce que je n’arrive pas à me rappeler, et l’on se voyait à peu près tous les jours…
Du point de vue religieux, qui est capital, en dépit de ce que pense un vain peuple d’intellectuels parisiens, voici l’état du groupe ON en 1933 : Rops et Jardin (et peut-être Dupuis) sont catholiques déclarés ; moi, protestant d’école barthienne. Arnaud Dandieu d’origine catholique, Claude Chevalley d’origine protestante, Robert Aron d’origine juive, se disent à l’époque nietzschéens (tous les trois rejoindront plus tard leur « foi »). Enfin, Marc va devenir catholique, en 1933. La résultante de ces diversités est une neutralité religieuse totale pour l’ensemble du groupe ON, tandis que l’obédience confessionnelle d’Esprit ne fait aucun doute.
Telles étant donc nos incroyances et nos croyances déclarées, il est intéressant de savoir que nous formions un groupe étonnamment compact, à tel point qu’on ne sait pas quel fut l’apport de qui dans notre doctrine unanime.
Sous l’impulsion de Marc — et c’est typique de sa tactique et de ses méthodes — dès le premier numéro de L’Ordre nouveau, beaucoup d’articles sont signés de deux noms, ou d’un nom et d’un pseudonyme, en sorte que la propriété d’une idée, d’un concept ou d’un slogan ne fasse l’objet d’aucune contestation stérile. Toute notre doctrine est de tous. Idée chrétienne peut-être, mais russe assurément.
Je donnerai l’exemple des titres. En avril 1936, paraît la brochure ON intitulée Mission ou démission de la France. Quatre ans plus tard, je publierai à Neuchâtel Mission ou démission de la Suisse. En novembre, Alexandre Marc met en épigraphe à un article de L’ON cette phrase de moi : « Une politique à hauteur d’homme », et en 1948 paraît son livre intitulé À hauteur d’homme7.
[p. 62]La poésie sera faite par tous répétaient les surréalistes après Lautréamont, qui se trompait, ou se moquait simplement. Mais nous savions qu’une société et ses mesures sont affaire de personnes, donc de coopération et de propriété communautaire.
Et pourtant, si je relis — comme je viens de le faire depuis quelques jours — ce qui me reste des numéros de L’Ordre nouveau, de 1933 à 1938, et de la collection d’Esprit, d’octobre 1932 jusqu’à l’interdiction par Vichy, je constate que la plupart des thèmes juridiques et politiques de la pensée personnaliste ont été proposés, formulés et souvent développés en premier lieu par un homme : Alexandre Marc.
Anticipant sur la postérité pour honorer Marc l’inventeur, je voudrais relever quelques-uns de ces thèmes — illustrés de citations — qui n’ont fait, depuis ce temps-là, que gagner (si possible) en actualité.
Contre l’État-nation. La critique de l’État centralisé, confondu avec la Société, le gouvernement, la Nation, voire pris comme source du Droit, est probablement le thème fondamental des écrits d’Alexandre Marc. La revue de L’ON se refusera systématiquement à écrire état avec une majuscule : manière concrète de rappeler au lecteur que l’État n’est pas autorité, mais seulement pouvoir, ou plus précisément : service public.
L’état n’est pas « la nation organisée » (comme l’affirment les traités de droit français de l’époque). Il n’est pas « la Société », ni « la forme politique que tend à revêtit toute nation civilisée » (Esmein). Il n’est pas la patrie.
Rapportée à l’homme, la patrie n’est ni petite, ni grande : elle est humaine. Ses limites — si limites il y a — ne peuvent être indéfiniment distendues sans que soit détruit ce sentiment de la familiarité, du « chez-soi », dont procède le patriotisme. (ON 32)
Si la patrie est chair, attachement, affectivité, la nation représente au contraire « une communauté de culture », une réalité spirituelle, élective et non native. Elle est le fait de « personnes qui ont su trouver en elles-mêmes la force de se libérer des particularismes locaux et sentimentaux ».
[p. 63] C’est à l’échelle de la commune que le sentiment patriotique se manifeste le plus spontanément… On peut parler de la patrie alsacienne, bretonne, catalane. Il n’en reste pas moins que la commune est le lieu privilégié en lequel se trouvent réunis tous les facteurs élémentaires de l’attachement à la patrie. (ON 39)
Mais grâce aux jacobins et à leur disciple Napoléon, la confusion de la patrie, de la nation et de l’État, c’est-à-dire de la réalité physico-affective, de l’idéal commun, et du service public que devrait demeurer l’état, a tout faussé.
La confusion de la patrie et de la nation conduit donc à les identifier à leur tour avec l’état, c’est-à-dire à concentrer l’existence de la nation dans le mécanisme économico-administratif qui n’en devrait être que le soutien. Par là les valeurs spirituelles se trouvent définitivement abaissées devant les valeurs matérielles. L’économie, l’armement, le prestige deviennent les facteurs essentiels de la vie du pays. L’existence de chacun se trouve déterminée par le niveau de plus ou moins forte expansion de l’état. Ce dernier en vient à constituer le centre au travers duquel s’établissent nécessairement toutes les relations humaines.
Cette omnipotence étatique ne paralyse pas seulement les rapports entre les citoyens d’un même pays : elle transforme aussi les différences nationales spécifiques en rivalités nationales économiques ou belliqueuses. Il n’existe qu’une forme de « rapprochement » véritable et effectif entre états-nations, c’est la guerre. (Proudhon) (ON 39)
Source du droit. La seconde thèse fondamentale de Marc, durant toutes les années de lutte pour imposer une vision personnaliste de la société, est celle-ci : la source du droit n’est pas l’état, mais la Personne. (Notez le jeu des majuscules.)
Partant d’une analyse critique et sympathique de Maurice Hauriou et de G. Gurvitch, Marc conclut avec Léon Duguit « qu’il existe une règle de droit antérieure et supérieure à l’état, et qui s’impose à lui » (ON 29, p. 19).
[p. 64] Sur ce thème central, quatre grands articles de Marc dans les numéros 20, 22-23, 29 et 31 de L’ON apportent une contribution inégalée non seulement à la doctrine personnaliste, mais à la théorie du droit, qui se trouve renouvelée par cette application hardie de la « méthode dichotomique » d’Aron et Dandieu : « Le droit ne se justifie-t-il pas surtout dans la mesure où il fournit un tremplin d’où s’élanceront les conquêtes et les créations spirituelles nouvelles ? »
On peut d’ailleurs en dire autant de l’économie, dont « la zone planée trouverait sa justification ultime dans le fait de libérer l’homme (création des automatismes, économie de l’énergie, accumulation des richesses…) et de la rendre ainsi disponible en vue d’autres combats et d’autres conquêtes » (ON 22-23).
La statolâtrie universelle.
La statolâtrie apparaît comme l’expression la plus conséquente des erreurs contemporaines : c’est leur commun dénominateur. L’URSS du camarade Staline et la France de M. Lebrun, la Turquie « occidentalisée » et le IIIe Reich « en rupture d’Occident », le Duce et le président Roosevelt, tous sacrifient plus ou moins systématiquement au culte inhumain de l’état. Ce point a été suffisamment mis en lumière dans tous nos écrits antérieurs pour nous épargner l’obligation d’insister là-dessus. (ON 22-23)
Distinction entre communauté et société, la communauté étant formée de personnes, « non d’individus ou d’organismes étatiques » (ON 22-23). (On pensera là à la distinction faite par Tönnies entre Gemeinschaft et Gesellschaft.)
[p. 65]Propriété.
Le fondement de la propriété n’est ni dans le mérite, ni dans le travail, ni dans l’utilité, mais dans la conquête… Le possédant est celui qui marque, que ce soit un objet, une terre, ou le cœur d’un être.
Ni l’état, ni même la commune ne pourront rien posséder en tant que tels ; mais ils seront chargés de distribuer aux éléments prolétariens les terres personnelles. (ON 16)
Personne. Elle est toujours « supérieure à l’état ».
La personne reste à jamais supérieure à tout état donné, l’homme dépasse toujours : la transcendance de cet « être vertical » qui s’appelle l’homme debout, répond victorieusement à l’« horizontalité » de l’immanence qui voudrait tout ramener au stable, au stagnant, à l’étale. (ON 20)
Structure antinomique de la personne.
On n’insistera jamais assez sur l’importance fondamentale du conflit en tant que tel.
Le conflit est défini à la fois et inséparablement par la situation de l’homme et par son attitude.
Là-dessus, une page (en collaboration avec Claude Chevalley) où l’on trouvera déjà l’essentiel de la description existentielle (dont Sartre, dix ans plus tard, ne modifiera guère que l’adjectif) :
Tout homme est placé dans une certaine situation : c’est ce que les idéalistes sont toujours tentés d’oublier. L’homme en général, le citoyen abstrait, l’esprit pur n’existent que dans l’imagination déréglée des libéraux ; un être de chair et de sang n’est pas seulement « lui-même », il « est » sa famille, sa race, sa patrie, son milieu social, son métier, sa nation… Il est sa propre situation.
Mais il n’est pas que cela. Tel est le paradoxe fécond du fait agonal (c’est-à-dire du conflit fondamental) auquel on se heurte dans cette perspective et que toute tentative de réduction moniste tourne à l’absurde. Si l’homme n’était que sa situation, celle-ci serait à son tour un pur possible, et non une réalité. Une situation n’est réelle, en effet, que dans la mesure où elle est une, c’est-à-dire dans la mesure où la diversité des éléments (dont seul un abus de langage permet de parler comme s’ils étaient préexistants) se rattache à l’unité d’une perspective. Or, cette perspective n’existe que parce que l’homme est en quelque manière extérieur à sa situation, parce qu’il connaît l’avantage immense du recul.
C’est pourquoi il est impossible de parler de la situation de l’homme sans tenir compte de son attitude. Il n’en est peut-être pas ainsi de l’animal dont la situation ne peut être que la résultante d’un concours de circonstances [p. 66] extrinsèques (que l’animal ne peut que subir), ou bien encore que le résultat d’une élimination purement utilitaire de la diversité (en liaison avec les « passions » de l’animal — dans le sens étymologique du terme — qui ne lui permettent pas de dominer réellement la situation). Par contre, la situation n’a de sens humain qu’en fonction de l’attitude de l’homme. (ON 38)
Le Plan sans contrainte et son dynamisme « libérateur ».
La « perfection » du « plan » réside — réserve faite de toutes les autres conditions — dans le degré d’élimination de la contrainte, conçue non pas comme une garantie de l’exécution du « plan », mais comme la forme même de la vie économique, c’est dire qu’une véritable économie « planée » exclut à priori l’étatisme.
Pour que cette élimination de la contrainte soit non pas un « vœu », mais une réalité dynamique et progressive, il faut qu’un éventuel « plan » économique fasse appel aux ressorts humains de l’économie : solidarité, collaboration, initiative, émulation, lutte, risque, profit… (ON 22-23)
Ces deux paragraphes évoquent irrésistiblement Proudhon, dont l’ON 33 donnait cette admirable citation :
Toute force suppose une direction ; à qui la direction du pouvoir social ? À tout le monde, ce qui veut dire à personne… : de sorte que l’ordre dans l’être collectif, comme la santé, la volonté, etc., dans l’animal, n’est le fruit d’aucune initiative particulière : il ressort de l’organisation… 8
L’union fédérale
En triomphant de la tentation de l’Unité, on reconquiert le chemin de l’union ; en renonçant aux prestiges morbides du monisme, on retrouve l’unité vivante — à la fois intelligente et libre — de la personne humaine, créatrice de communautés. (ON 37)
L’état totalitaire
n’est pas autre chose que l’erreur moniste projetée sur le plan de la vie en société.
(Son caractère monstrueux) manifeste la persistance des conflits, refoulés mais non supprimés. (ON 38)
L’État-nation, trop petit et trop grand.
L’homme n’est pas fait à l’échelle de ces immenses conglomérats politiques que l’on essaie de lui faire prendre [p. 67] pour « sa patrie » : ils sont beaucoup trop grands… ou trop petits pour lui. Trop petits si l’on prétend borner son horizon spirituel aux frontières de l’État-nation ; trop grands si l’on tente d’en faire le lieu de ce contact direct avec la chair et la terre qui est nécessaire à l’homme. (ON 15)
(On sait que l’argument « trop petit et trop grand » est devenu le pont aux ânes de toute critique fédéraliste de l’État-nation. On le retrouve de nos jours dans les écrits de J. Buchmann, de Robert Lafont, d’Hervé Lavenir, de Lewis Mumford et de… moi-même. Marc nous a tous précédés d’une trentaine d’années sur ce point.)
Régions.
C’est la patrie concrète, c’est-à-dire la région qui est l’élément constitutif et le fondement réel de notre fédéralisme… L’autonomie de la région doit être développée jusqu’à sa limite extrême : cette limite, c’est l’intérêt suprême de la Révolution. Dans la mesure où elle ne paralyse point l’élan révolutionnaire, la région doit jouir d’une indépendance absolue… Tous les mouvements régionalistes qui n’adhèrent pas à la Révolution échouent complètement ou, pis encore, dégénèrent en « nationalismes » particularistes. (Esprit n° 2, novembre 1932)
Frontières. Dans l’article intitulé « La folie des frontières », qu’il publie le 15 juin 1934, sous le nom de Michel Glady et en collaboration avec Cl. Chevalley, Marc donne l’esquisse d’une recherche future sur les frontières différenciées selon leurs fonctions (nationale, ethnique, économique, administrative, etc.), recherche que je me vois amené à reprendre aujourd’hui en relation avec ma théorie des régions fonctionnelles. Les deux passages que je vais citer (non sans scrupules, car ils souffriront d’être privés de l’éclairage du contexte) me paraissent aujourd’hui correspondre à la problématique la plus actuelle :
Il semble probable — et une « théorie » ultérieure devra tenir compte de ce point — que les limites territoriales, dans une société Ordre nouveau, signifieront une « possibilité » offerte à tout le monde… Offerte, non imposée. Il faudra donc étudier attentivement les problèmes de la différenciation, d’adhésion ou de sécession, qui se poseront dans la perspective de notre communalisme intégral…
[p. 68] L’existence des frontières se justifie, tout d’abord, par le fait que, grâce à leur stabilité, un minimum d’ordre matériel peut être assuré régulièrement (fonction administrative des frontières ; limites des communes…) ; elle se justifie ensuite en délimitant une base stable et solide aux édifices superposés, d’essence spirituelle (fonction complexe des frontières ; limites des « patries » et des « nations »…) ; mais elle se justifie surtout dans la mesure où les frontières forment un tremplin d’où s’élanceront les conquêtes et les créations spirituelles nouvelles (fonction proprement révolutionnaire des frontières ; limites de la fédération Ordre nouveau). (L’ON 12)
Faire éclater l’État-nation. Enfin, voici en quelques lignes un condensé de ce qui sera, dans les années septante, le programme des fédéralistes européens :
La révolution [sous-entendu : personnaliste et communautaire, ou encore : fédéraliste] libère la nation en faisant éclater l’État et en dispersant les organes nécessaires de celui-ci dans deux directions : celle de la patrie locale d’une part, celle de la fédération révolutionnaire de l’autre, issue de l’élan des personnes considérées comme supérieures à tout. (Cahier de revendications, NRF, décembre 1932.)
Tout, dans ces textes, annonce « l’Europe », j’entends la lutte pour la fédération de l’Europe, où nous nous retrouverons, Marc et moi, côte à côte, dès le congrès de Montreux en 1947. Mais ce n’est pas seulement la vertu anticipatrice de la pensée de Marc dans les années 1930 qui me frappe à la relecture, c’est aussi le fait que Marc soit venu à l’Europe par les voies du personnalisme en premier lieu, et par le fédéralisme intégral, expression politique de « l’élan des personnes considérées comme supérieures à tout ».
On peut concevoir la nécessité de l’Europe unie en partant de la situation du monde, du rôle historique central qu’a joué notre synthèse culturelle, de la vocation mondialisante qui fut la sienne dans ses plus hauts moments, et des menaces de colonisation qui pèsent aujourd’hui sur nos peuples, à l’Ouest comme à l’Est. Mais on peut aussi partir d’une conception de [p. 69] l’homme et de sa vocation personnelle, d’une attitude de l’homme qui assume et transforme en création le conflit permanent entre le particulier et le général, le local et le mondial, l’individuel et l’universel, conflit qui l’incite à créer de proche en proche des relations sociales et des communautés, des cités, puis leurs fédérations : et c’est en route vers l’universel que l’Europe apparaît inévitablement, non point comme une fin en soi, mais comme un moment dialectique — à vrai dire décisif du « dynamisme libérateur de la personne » ; ou encore : comme « œuvre » historique de notre « foi » personnaliste. Nouvelle et fascinante illustration du texte capital cité plus haut9, qui concluait qu’une situation n’a de sens humain qu’en fonction de l’attitude de l’homme.
Je conclus pour ma part que s’il y a un avenir, et qu’il demeure ou redevienne européen, la pensée d’Alexandre Marc est promise à beaucoup d’avenir.