Campus n°115

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Extra-muros | YELLOWSTONE

Yellowstone: Le réveil du supervolcan est écrit dans le cristal

L’analyse de cristaux éjectés par les éruptions passées du supervolcan d’Amérique du Nord permettra de mieux comprendre la chronologie d’un tel cataclysme. Et peut-être de prévoir la date du suivant

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ous le plus ancien parc national des Etats-Unis dort l’un des plus gros volcans du monde. Yellowstone abrite en effet dans son sous-sol une bombe à retardement d’une ampleur inimaginable. Lors de sa dernière grande éruption, il y a 620 000 ans, ce supervolcan a envoyé dans l’atmosphère plus de 1000 km3 de matériel, sous forme de cendres et de nuées ardentes titanesques qui ont recouvert, et probablement détruit, plus de la moitié des Etats-Unis actuels. La violence de l’explosion était telle que le cratère s’est effondré formant une caldera de plus de 60 km de diamètre. Aujourd’hui, des millions de visiteurs foulent chaque année la surface du monstre toujours vivant sans imaginer que sous leurs pieds une nouvelle chambre magmatique se construit lentement.

Parmi les curieux, Luca Caricchi, professeur assistant au Département des sciences de la Terre à la Faculté des sciences. Contrairement au reste de la foule, en cette fin du mois de septembre, il n’est pas là pour admirer Old Faithfull, le geyser emblématique du parc. Ayant rejoint un voyage organisé par le Programme doctoral en sciences des minéraux*, lui et Emmanuelle Ricchi, étudiante en quatrième année de maîtrise universitaire au bénéfice d’une bourse Augustin Lombard, profitent de l’infrastructure de Yellowstone pour se loger. Leur objectif se situe en dehors de la région protégée, un peu plus à l’ouest, dans l’Etat de l’Idaho. Il s’agit des vestiges très étendus de la caldera de Heise, un autre supervolcan aujourd’hui éteint et qui est en quelque sorte l’ancêtre de celui de Yellowstone.

Point chaud « Nous avons probablement affaire à un point chaud qui demeure en place et qui voit au-dessus de lui la croûte terrestre défiler lentement vers l’ouest sous l’effet de la tectonique des plaques, explique Luca Caricchi. A intervalles plus ou moins réguliers, ce point chaud se fraie un chemin vers la surface en fondant la roche autour de lui et provoque une éruption explosive d’intensité variable mais toujours terriblement élevée.»

Les chercheurs ont en effet identifié un système géologique qui ressemble à un collier dont les perles sont autant de calderas d’anciens volcans. Le plus vieux connu, apparu il y a environ 16 millions d’années, se situe à l’est de la chaîne des Cascades, sur la frontière entre l’Oregon et le Nevada, à 600 kilomètres de Yellowstone.

Le phénomène ressemble à celui qui a donné naissance à l’archipel d’Hawaï. Là aussi, le volcanisme a créé de nouvelles îles au fur et à mesure que la plaque océanique s’est déplacée au-dessus d’un point chaud. La comparaison s’arrête pourtant là car le magma qui s’écoule des cratères du Pacifique est très liquide alors que celui de Yellowstone et de ses prédécesseurs est plus visqueux et très explosif. Cette différence vient, entre autres choses, de la composition de ce magma qui, dans le deuxième cas, est mélangé à de la croûte continentale fondue.

L’éruption qui a créé la caldera de Heise et qui retient particulièrement l’attention des géologues genevois est survenue il y a 4,5 millions d’années. Il s’agit de l’une des plus importantes de l’histoire du vaste système de Yellowstone puisqu’elle a éjecté quelque 1800 km3 de matériel. En comparaison, la plus grande éruption connue dans l’histoire humaine, celle du Mont Tambora en Indonésie en 1815 qui a provoqué une « année sans été » dans l’hémisphère Nord en 1816, a expulsé un volume de moins de 50 km3.

Serpent à sonnette C’est marteau en main et sac au dos que Luca Caricchi et Emmanuelle Ricchi arpentent les plaines désertiques du sud de l’Idaho, fouillant les affleurements de l’épaisse couche géologique locale appelée Kilgore Tuff et formée à partir des dépôts laissés par l’éruption de Heise.

Le paysage est désolé. Mais pas totalement inhabité. A quelques mètres des géologues genevois, un crotale se prélasse au soleil et actionne, à tout hasard, la sonnette au bout de sa queue. Les deux chercheurs jugent alors plus sage de poursuivre leur travail en faisant davantage de bruit. Et c’est en chantant et en tapant des pieds qu’ils traversent les hautes herbes sèches à la recherche de cristaux de quartz et de feldspath généralement sertis dans une gangue de roche dure comme du verre.

« Ces cristaux ont été fabriqués dans la chambre magmatique, note Luca Caricchi. Ils sont les témoins de ce qui s’est passé dans le ventre du supervolcan durant toute la période qui a précédé l’éruption. Cette dernière les a ensuite dispersés dans la nature. Notre projet consiste justement à les étudier pour tenter de déterminer le plus précisément possible la chronologie des événements qui a débouché sur le cataclysme final.»

Des recherches récentes, menées notamment par Joern Wotzlaw, assistant à la Section des sciences de la Terre, ont en effet montré que les supervolcans d’Amérique du Nord ne possèdent pas, à l’origine, une unique chambre magmatique. En réalité, le processus commence avec plusieurs réservoirs plus petits qui se forment au-dessus du point chaud et qui grandissent ensuite avant de fusionner les uns avec les autres et de mélanger leur contenu.

Lors de chacune de ces phases, la composition chimique du magma subit une légère modification qui s’inscrit dans les anneaux de croissance des cristaux qui sont comparables à ceux des arbres. En analysant les couches minérales, les géologues peuvent y lire les conditions qui ont régné dans la chambre avant l’éruption.

« On peut aussi calculer le temps qui s’est écoulé entre chaque phase d’agrandissement de la chambre magmatique, précise Luca Caricchi. L’objectif, bien entendu, c’est d’arriver à savoir combien de temps sépare l’ultime activité magmatique et l’éruption proprement dite.»

Etroite surveillance La question ne manque pas d’intérêt, surtout pour les populations vivant dans un rayon de 1000 km autour du parc Yellowstone, sachant que Chicago pourrait être, le cas échéant, recouvert de 20 cm de cendres. Car l’incertitude actuelle ne concerne pas tant le fait de savoir si le monstre du Wyoming entrera un jour en éruption mais plutôt quand il le fera.

A l’heure actuelle, le volcan est sous la surveillance étroite du Yellowstone Volcano Observatory. Les techniques d’investigation géophysique ont montré qu’il existe une chambre magmatique principale en construction mais qu’elle est encore entourée par d’autres plus petites. Par ailleurs, aucun signe avant-coureur d’une éruption prochaine (gonflement important de la chambre magmatique, soulèvement de la surface, tremblements de terre, etc.) n’est encore visible.

Néanmoins, la séquence des trois dernières éruptions ayant eu lieu sur le site de Yellowstone laisse songeur. La plus ancienne a eu lieu il y a 2,1 millions d’années (2500 km3 de matériaux émis). Elle est suivie par celle, plus modeste, d’il y a 1,3 million d’années (280 km3), puis par la plus récente d’il y a 620 000 ans. S’il devait exister une quelconque régularité dans ces cataclysmes, le suivant devrait être imminent.

« On ne peut pas faire de statistiques avec aussi peu de données, rectifie Luca Caricchi. Il existe une loi empirique qui semble très bien décrire la fréquence des éruptions classiques dans le monde entier. Malheureusement, les supervolcans, très rares, échappent à cette règle, sans que l’on sache pourquoi. Il n’y a pas d’autres choix que d’essayer de comprendre les mécanismes physiques qui sont à leur origine pour tenter d’en savoir plus. Et cela passe par les cristaux que nous étudions.»

De tels travaux ont déjà été menés sur des volcans plus modestes, notamment par Michael Dungan, professeur honoraire de la Section des sciences de la Terre et dont le poste est aujourd’hui occupé par Luca Caricchi. Le premier a montré que les événements pouvaient se dérouler de manière assez rapide. Dans un article paru dans la revue Nature du 2 février 2012, il estime ainsi que, dans le cas de l’île grecque Santorin (un volcan qui a éjecté entre 40 et 60 km3 de matériel en 1600 av J.-C.), la durée entre l’arrivée du magma et l’éruption est « inférieure à cent ans ». Les données indiquent même que les dernières recharges de la chambre magmatique ont eu lieu dans les derniers mois, voire semaines avant l’explosion finale (lire Campus n° 108).

L’étude du supervolcan de Heise a pour objectif d’obtenir le même genre de résultats mais applicables aux supervolcans dont le comportement est très différent. Pour l’heure, Luca Caricchi a ramené 60 kilogrammes d’échantillons de son voyage aux Etats-Unis dont l’analyse prendra plusieurs mois. Il espère que son travail permettra d’affiner les prévisions – actuellement totalement aléatoires – concernant une prochaine éruption. Et éventuellement de chiffrer le temps qui nous sépare d’elle, en millénaires, siècles ou années.

Anton Vos

* Le DPMS rassemble les étudiants et chercheurs en minéralogie, pétrologie, biogéosciences, géochronologie, et archéométrie issus des Universités de Fribourg, Genève, Lausanne, Neuchâtel et Berne. (http://mineral.cuso.ch/)