L'invitée/Micheline Calmy-Rey
«Sans l’Europe, nous serions bien seuls»
La conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey a profité de la leçon d’ouverture de l’année académique pour défendre sa vision des rapports entre la Suisse et l’Union européenne élargie
«L’Union nous protège»
«La Suisse vit une communauté de destin avec l’Union européenne. L’Union est sa principale partenaire politique et économique. Elle met en place les conditions de notre paix et de notre bien-être. Du simple fait qu’elle existe, l’Union européenne est un gage de sécurité et de prospérité pour notre pays. Elle nous protège. C’est la raison pour laquelle la Suisse s’est toujours efforcée d’entretenir avec elle d’excellentes relations et de développer un réseau d’accords lui permettant de défendre au mieux ses intérêts […]. A travers ce réseau dense bâti au cours des années une vingtaine d’accords principaux et plus d’une centaine d’accords secondaires), la Suisse apparaît à bien des égards en tant qu’Etat non-membre de l’Union européenne aussi bien intégrée, voire mieux intégrée que ne le sont certains Etats membres.»
Du bien-fondé des bilatérales
«Avec la conclusion des accords bilatéraux, nous avons pu établir dans de nombreux domaines une coopération qui amoindrit les désavantages de notre non-appartenance institutionnelle. Nous avons ouvert à la Suisse un large accès au marché intérieur communautaire, nous avons assuré la participation à l’espace de Schengen et de Dublin, ainsi qu’à des programmes et à diverses agences européennes. La voie bilatérale offre en outre une certaine flexibilité dans le sens où les accords étant sectoriels et ad hoc, seuls les domaines d’intérêt commun sont négociés, là où des solutions adaptées peuvent être trouvées. […] Et elle laisse intacte la marge de manœuvre de notre pays dans le domaine de la politique commerciale et des relations extérieures. Par exemple, le fait que la Suisse ne soit pas membre de l’Union européenne peut constituer un avantage de politique étrangère. N’étant pas soumise aux obligations de compromis au sein des vingt-cinq, elle est plus libre dans ses prises de position, initiatives ou programmes de promotion. Ne disposant ni de la capacité financière ni de l’influence de l’Union européenne, la Suisse reste cependant confrontée au choix de définir une politique de niche, relativement indépendante et lui conférant un profil spécifique. Mais une telle voie montre également ses limites. Seule, la Suisse ne dispose pas de la masse critique nécessaire pour résoudre une crise. La guerre du Liban l’illustre. Sans influence au Conseil de sécurité, sans moyens financiers ou en personnel significatifs, notre voix de compte guère dans la résolution des phases aigues des crises internationales.»
Donner du temps au temps
«La voie des bilatérales demande du temps. Elle exclut les automatismes, et cela peut générer bien des incertitudes. Mais la voie des bilatérales est aussi le reflet d’une démocratie vivante et d’un débat de proximité avec une société civile forte. Elle est encore un défi permanent pour les autorités politiques qui doivent s’expliquer sur les enjeux dans un processus continu. Je peux vous assurer que lors de mes fréquents contacts avec mes collègues européens, j’entends parfois qu’ils aimeraient eux aussi que des questions concrètes de politique européenne soit débattues et tranchées plus fréquemment par le peuple, de manière à permettre ainsi à l’Union européenne de se rapprocher de ses citoyennes et de ses citoyens.»
L’adhésion, un choix «pratique»
«La politique européenne de la Suisse ne se résume pas à nos relations avec l’Union européenne et dans le cadre de ces dernières, elle ne saurait se restreindre à la question de savoir si oui ou non, nous devons adhérer à l’Union européenne. La bonne question est: comment défendre au mieux nos intérêts? La politique européenne est en effet partie intégrante de notre politique étrangère et à ce titre, son objectif est de préserver notre stabilité et notre bien-être dans nos relations avec l’Union européenne. La voie bilatérale ne constitue ainsi pas un but en soi, mais un moyen ou un instrument devant permettre d’atteindre nos objectifs.
Dans cette approche, la question de l’appartenance institutionnelle est reléguée au rang d’un choix pratique. Cette manière de procéder permet de créer un dialogue plus objectif et moins crispé. Il n’est en effet plus nécessaire de choisir une bonne fois pour toutes un instrument par définition idéal. Par contre, il importe d’analyser régulièrement la situation afin de déterminer si l’instrument choisi répond toujours aux besoins et aux intérêts de notre pays. Si tel n’est plus le cas, il convient alors de l’adapter.»
Relation sous condition
«Si le Conseil fédéral estime que la coopération bilatérale reste l’instrument le plus adapté à la défense des intérêts de la Suisse vis-à-vis de l’Union, ce qui est valable aujourd’hui peut ne plus l’être demain. Cela dépend notamment de trois conditions. La première condition est que la Suisse puisse continuer à jouir d’un degré de participation à la prise de décision dans le cadre de ses accords bilatéraux, ainsi que d’une marge de manœuvre dans la conduite de ses politiques autonomes qui soit perçue comme suffisante. […]
La deuxième condition est que l’Union européenne continue à se montrer disposée à chercher avec nous des solutions par le biais d’accords bilatéraux sectoriels. Parcourir la voie des bilatérales, c’est mener une négociation avec nos partenaires dans un esprit constructif. Il va sans dire qu’en l’absence de disponibilité de l’un d’entre eux, la capacité de négocier disparaît. La Suisse peut agir afin d’influencer favorablement cette condition en veillant à entretenir de bonnes relations avec l’Union européenne, en représentant un interlocuteur intéressant pour la conclusion d’accords et en s’affirmant comme un partenaire fiable et solidaire pour la réalisation de buts communs.
Troisièmement, et cela va de soi, le cadre économique ne doit pas évoluer dans un sens défavorable à notre pays par une succession de décisions dommageables pour notre économie. Il pourrait s’agir par exemple de questions en suspens dans le domaine commercial comme la règle des 24 heures par laquelle l’Union européenne prévoit d’imposer une obligation de préavis pour les importations en provenance de pays tiers. Nous sommes un pays tiers et cette règle pourrait constituer un gros désavantage pour l’économie suisse si nous ne parvenions pas à trouver une solution de mutuelle convenance.»
Demain sera européen
«Dans notre pays, la capacité de l’Union européenne de répondre à de nouveaux défis et d’entreprendre les adaptations nécessaires a été très souvent sous-estimée. L’histoire de l’Union européenne nous démontre au contraire qu’elle est capable de faire face à de grands défis, qu’elle a fait ses preuves à diverses reprises par le passé et qu’elle continuera par étapes à améliorer son fonctionnement sans mettre en péril les équilibres politiques nécessaires à sa cohésion. Nous devrons compter à l’avenir avec une Union européenne qui ne sera pas seulement plus étendue, mais aussi plus forte et plus déterminée. Je suis consciente qu’une majorité des Suissesses et des Suisses se satisfait de la situation actuelle et qu’elle estime que le statu quo est de nature à préserver au mieux notre démocratie, notre fédéralisme et notre neutralité. C’est toutefois une illusion de croire qu’après la conclusion des bilatérales I et II, le développement de nos relations avec l’Union européenne peut s’arrêter là. De nouveaux problèmes apparaîtront qui devront recevoir de nouvelles réponses. Cela impliquera pour la Suisse, selon les besoins, la conclusion de nouveaux accords, voire le choix de nouveaux instruments de coopération.»
Partager la souveraineté
«Le besoin de préserver nos acquis et nos traditions prédomine-t-il à ce point en Suisse que nous nous refuserions à voir, à l’instar des pères fondateurs de notre constitution fédérale au milieu du XIXe siècle, les mérites de la souveraineté partagée? Il est évident qu’une telle approche de la défense de nos intérêts nécessitera un profond changement de nos mentalités. Mais sur ce dernier point je suis optimiste. En fin de compte, le processus d’intégration européenne équivaut à un partage de souveraineté. Tout comme les cantons suisses ont su partager progressivement leur souveraineté avec la Confédération là où des solutions communes meilleures pouvaient être trouvées ensemble, là où le chemin en solitaire ne garantissait plus l’indépendance et la prospérité.»
L’action comme unique alternative
«Pour défendre nos intérêts sur le continent européen, nous devons être actifs. La politique européenne en est la démonstration par excellence. En tout état de cause, il convient de constater que le champ d’action et de préoccupation de l’Union européenne s’étend aujourd’hui à l’Est et que celle-ci délaisse peu à peu sa frontière sud, c’est-à-dire nous. De plus, dans les évolutions européennes, la Suisse ne compte pas. Elle n’est pas membre de l’Union européenne et cela nous oblige à réagir. C’est la raison pour laquelle, au-delà accords bilatéraux I et II, nous cherchons à étendre notre coopération avec l’Union européenne. Au travers de nouveaux champs de négociation, comme sur un accord de libre-échange dans le domaine agricole, au travers d’une organisation plus institutionnalisée de nos relations bilatérales ou encore au travers de coopérations renforcée, comme dans les Balkans. Parmi tous les facteurs qui apportent stabilité et bien être à la Suisse, le facteur européen est le plus important. Droit international, médiation, promotion de la paix, aide au développement sont certes décisifs. Reste que l’Union européenne est notre principal partenaire économique, politique et culturel.
Extrais choisis par Vincent Monnet