L'invité/Charles Beer
«Cette loi est à la fois moderne et démocratique»
La Loi sur l’Université sera soumise au peuple genevois le 30 novembre. Conseiller d’Etat en charge du Département de l’instruction publique, Charles Beer voit dans cette échéance l’occasion d’organiser un grand débat public autour des vertus de ce texte
Campus: La nouvelle Loi sur l’Université sera soumise au vote populaire le 30 novembre prochain. Comment envisagez-vous cette échéance?
Charles Beer: La démarche a été cohérente, la concertation a été profonde, les débats ont été nourris, le processus était clair. Le projet est soutenu par l’ensemble des partis représentés au Grand Conseil, ainsi que par les milieux économiques et sociaux. Le texte de la nouvelle Loi sur l’Université est un des plus modernes qui soit du point de vue de l’adaptation du service public et un des plus démocratiques du point de vue des processus de décision. Cette loi résulte aussi, ne l’oublions pas, de la grave crise traversée par l’Université en 2006 et de la nécessaire concordance des universités en Suisse. Cela étant, et même si j’aurais préféré que cette démarche n’aboutisse pas, la voie du référendum a également ses avantages.
Lesquels?
La votation qui se profile est une occasion unique pour organiser un grand débat public et citoyen autour des vertus de l’aménagement du cadre légal dans lequel évolue l’Université. Si le peuple accepte ce texte, la loi qui en découlera disposera d’une plus grande légitimité et sera mieux protégée contre d’éventuelles volontés de modification.
Envisagez-vous la possibilité d’un vote négatif?
Tout débat démocratique exige du sérieux et de la conviction. Il ne s’agit surtout pas de sous-estimer ceux qui se sont engagés dans l’autre camp. Les milieux référendaires se bornent à répéter des slogans qui n’ont pas la moindre actualité dans ce dossier – je pense notamment aux taxes universitaires –, mais le débat s’annonce véhément. Il faudra expliquer et réexpliquer le bien-fondé de nos arguments aussi souvent que nécessaire. Même si je suis convaincu qu’il serait totalement déraisonnable de voter contre une telle loi, seule une mobilisation importante permettra de l’emporter au final.
Si vous deviez résumer l’esprit de la nouvelle loi en quelques mots, que diriez-vous?
Nous parions sur une Université capable de prendre ses responsabilités, mais également tenue de rendre des comptes. Ce projet donne à l’Université de Genève les moyens de faire des choix, de prendre des initiatives, de se structurer et de s’organiser. En contrepartie, toutes les grandes décisions seront soumises à une assemblée universitaire réunissant des représentants de l’ensemble des corps de l’institution (étudiants, personnel administratif et technique, corps intermédiaire, corps enseignant). La nouvelle loi prévoit également la création de certains organismes de contrôle, comme le comité stratégique et le comité d’éthique, qui n’ont pas d’équivalent à l’heure actuelle.
A l’inverse, quel est selon vous le principal défaut de la législation actuelle?
C’est un système dans lequel tout le monde s’occupe de tout et personne n’est responsable de rien. Le texte en vigueur remonte à 1973, il a subi de nombreux changements successifs qui ont fini par le vider de sa substance. L’ensemble du dispositif n’a plus de cohérence ni de philosophie. Aujourd’hui, le gouvernement n’a pas les moyens de contrôler sérieusement la situation puisque les organismes nécessaires à ce travail n’existent pas. Le Conseil d’Etat n’a finalement que très peu de choses à dire, si ce n’est sur la nomination des professeurs et il faut bien reconnaître que cet exercice est formel. Le Grand Conseil n’a pas beaucoup plus de prérogatives, mais ce sont de grands pouvoirs: organiser les facultés et les différentes structures de l’Université. C’est une situation absurde. Il n’y a pas un autre pays ou un autre canton où le parlement est appelé à se prononcer sur la création de tel ou tel institut. Ce n’est pas au monde politique de dire au monde de la recherche comment s’organiser. Le rôle des pouvoirs publics est de contrôler les activités de l’Université, mais pas de se substituer à elle.
Les référendaires voient dans la loi le signe d’un désengagement de l’Etat et le risque d’une privatisation de l’Université. Que répondez-vous à cet argument?
C’est le contraire qui se produira. Je suis partisan de dotations financières publiques non seulement fortes, mais ultra-majoritaires. Aucune haute école ne peut se priver de fonds externes, publics ou privés. Celles qui le feraient sont condamnées. La question qui se pose est de savoir en quoi la situation légale actuelle protège mieux l’Université des ingérences économiques que la nouvelle loi. L’affaire Rylander, par exemple, s’est produite dans le cadre légal actuel et non dans celui que condamnent par avance les milieux référendaires.
Certain étudiants craignent que la nouvelle loi ne mette en péril la gratuité des études. Ces inquiétudes sont-elles fondées?
Non. La question des taxes universitaires est un des points sur lesquels le gouvernement est intervenu lors de la phase de consultation pour répondre justement aux craintes de certains étudiants. La nouvelle loi précise donc que ces dernières restent de la compétence du parlement et non pas de l’Université, cela afin de garantir un accès démocratique aux études académiques sur le long terme. Celles et ceux qui utilisent l’argument des taxes pour contrer le projet de loi trompent la population.
En perspective de la nouvelle loi, une convention d’objectifs a été conclue entre l’Université et le Département de l’instruction publique. Quel est le contenu de ce document?
La nouvelle loi vise à donner un nouveau cadre institutionnel. Le pilotage politique sera pour sa part assuré par une convention d’objectifs. C’est un outil qui permet non seulement de définir les buts poursuivis par l’Etat et le monde académique, mais aussi de décrire la manière de les atteindre et de définir des indicateurs qui permettent d’évaluer les progrès accomplis. Ce document porte sur quatre ans, mais des rapports intermédiaires seront effectués chaque année. En fonction des résultats présentés, le Grand Conseil valide ou refuse les comptes et le budget. Cet outil permet de mettre l’accent sur un certain nombre de priorités comme l’égalité hommes-femmes ou la collaboration avec les hautes écoles spécialisées. C’est aussi le moyen de mettre en avant des domaines de pointe dans lesquels l’Université s’engage au niveau international. La loi actuelle avait déjà prévu cette disposition, mais compte tenu du flou qui règne quant au partage des responsabilités, il est très difficile d’aboutir.
En avril dernier, vous avez annoncé la création d’un Conseil de l’enseignement supérieur. Quelles seront ses tâches?
Jusqu’ici, hormis des collaborations engagées sur des bases volontaires, aucune communication ou stratégie institutionnelle n’était développée pour favoriser les relations entre l’Université et les hautes écoles du canton, voire de la région lémanique, ce qui, à long terme, n’est pas acceptable. Compte tenu de l’évolution du paysage de l’enseignement supérieur national que dessine la future loi fédérale sur l’aide aux hautes écoles, ainsi que de l’évolution du paysage académique européen et mondial, l’Université de Genève et les hautes écoles sont soumises à une concurrence croissante. Pour faire face, elles se doivent de développer des collaborations, à l’image des pôles de recherche et des pôles d’excellence qui existent déjà dans le bassin lémanique. La vocation du Conseil de l’enseignement supérieur est de permettre à ces institutions de se retrouver autour d’une table pour discuter de la place que doivent tenir les hautes écoles genevoises à la fois dans le cadre lémanique et dans le cadre national. Il s’agit donc de donner de grandes orientations pour l’avenir dans des domaines aussi divers que le lancement de grands programmes de recherche ou la gestion des bâtiments.
La nomination d’une responsable de l’Unité de l’enseignement supérieur au sein de votre Département, en la personne de Mme Ivana Vrbica, répond-elle à la même logique?
Jusqu’ici, le Département disposait d’un secrétaire adjoint aux affaires universitaires et d’un directeur général pour ce qui est des HES. Chacun servait de trait d’union entre son domaine respectif et le monde politique. Aujourd’hui, une seule personne est chargée du suivi des deux institutions, ce qui fait que je ne suis plus le seul membre du Département à avoir une vue globale des dispositifs stratégiques concernant l’enseignement supérieur à Genève.
Propos recueillis par Vincent Monnet