Hérétiques de toutes les religions, unissez-vous (1981)a b
Un jour, dans notre jardin de Ferney, où les Corbin s’arrêtaient quelquefois, en route vers les rencontres d’Ascona, il s’écrie : Hérétiques de toutes les religions, unissez-vous !
J’ai souvent médité sur cette phrase, depuis lors.
Au temps de nos premières rencontres, vers 1935, quand nous fondions ensemble Hic et Nunc, petite revue de pensée religieuse qui se réclamait de Kierkegaard et de sa double descendance — « existentielle » et nietzschéenne par Heidegger, « dialectique » et calviniste par Karl Barth — nous passions aux yeux de nos aînés pour les restaurateurs subversifs d’une orthodoxie protestante, aussi paradoxale en soi que dans les polémiques qu’elle nous inspirait.
Cette interprétation de notre mouvement était en somme inévitable dans la conjoncture de l’époque. Tout allait à marche forcée vers la radicalisation des attitudes, des doctrines et des comportements. Des orthodoxies partisanes, imposées par l’État et sa police à la nation dans tous ses ordres, mythique, politique, quotidien, triomphaient en Russie soviétique, en Italie fasciste en Allemagne nazie, et tout autour de nous, de plus en plus, fascinaient nos contemporains. Il pouvait sembler normal à quelque observateur superficiel que face à ces dogmatiques conquérantes catholiques et protestants se rameutent sur leurs origines doctrinales — néo-thomisme de Maritain, néo-calvinisme de Barth. C’était ce que croyaient voir les journalistes, quand il leur arrivait de regarder de ce côté.
[p. 299] De fait, il s’agissait de bien autre chose, d’une réaction vitale, fondamentale : ni le modernisme catholique, ni le libéralisme protestant ne pouvaient constituer les noyaux durs d’une résistance à l’hitlérisme et au fascisme, encore moins au marxisme invoqué par les staliniens de nos pays pour justifier les procès de Moscou et la persécution des églises.
Mais je relis les onze numéros de notre revue : il n’y est jamais question d’orthodoxie ! (Sauf une fois : pour nier que nous défendions une « orthodoxie calviniste ».) En revanche, les « hérésies » sont dénoncées, mais non point comme « contraires au dogme » : ce que nous référons comme « hérétique », c’est tout choix exclusif d’un seul des termes d’une antinomie fondamentale, c’est-à-dire constitutive de toute réalité, et d’abord spirituelle. Ainsi, dans le premier numéro :
Deux hommes se trompent insondablement : celui qui affirme que la morale est suffisante, et celui qui nie qu’elle soit nécessaire… Le moralisme donne une réponse universelle et inefficace, là où la foi pose une question terriblement particulière.
Remplacez dans cette phrase morale par orthodoxie, et vous saurez ce que nous pensions alors.
La vérité ne pouvait être à nos yeux quelque chose d’édicté, de codifié, d’enregistré une fois pour toutes, ni une « fixation théorique ». Elle était quelque chose, disions-nous, « dont nous ne sommes pas les auteurs, mais dont l’essence même implique notre effort pour la réaliser ».
Très paradoxalement, notre « orthodoxie » prétendue s’opposait à toute « transposition de l’événement fondamental de l’existence chrétienne en concepts et en idées, en une essence intemporelle, en une vérité générale… » Et par « existence » nous ne pouvions entendre que « décision concrète… dans l’instant, hic et nunc ».
Nous disions encore :
Il ne s’agit pas de la concordance littérale de nos propositions théologiques avec les énoncés de la Bible, mais de juger si c’est la Parole de Dieu, donc Dieu, qui est le sujet de ces énoncés, ou bien au contraire si l’homme se les approprie, comme sa chose et son bien, qu’il possèderait sans l’actualité de cette Parole et avant elle.
Les deux derniers passages cités sont justement d’Henry Corbin. Et je n’en trouve pas qui expriment mieux notre attitude commune d’alors.
Après les années de Hic et Nunc (1932-1939), nos voies pour un temps se séparent. Henry Corbin part pour Byzance et le Proche-Orient ; puis ce sera la guerre, et pour moi, plus de six années d’exil américain.
Et pourtant, le bravo silencieux par lequel j’accueille à Ferney l’exclamation de l’ami retrouvé ne marque aucune rupture avec notre passé, ni encore moins mon ralliement à quelque antidoctrine nouvelle élaborée dans l’entre-temps, mais une prise de conscience renouvelée de ce qui animait en profondeur nos écrits de l’époque de Hic et Nunc.
Lui s’occupait déjà des grands mystiques soufis, et surtout de Sohrawardi, dès 1931. Cette même année, je publiais divers essais parmi les tout premiers parus en France sur Kierkegaard et sur Kafka.
Sohrawardi écrit : « Lis le Coran comme s’il n’avait été révélé que pour ton propre cas. »
Kierkegaard écrit : « L’Évangile doit être lu comme une lettre personnelle, adressée à toi seul. »
Et Kafka imagine la parabole de la Porte du Palais de justice : elle est ouverte, mais le pauvre paysan n’ose la franchir, à cause des deux farouches gardiens qui se tiennent auprès, jusqu’au jour où il dit à l’un d’eux : « Mais personne n’est jamais entré ni sorti, depuis des mois que j’attends ici ! À quoi le gardien répond : — Elle n’était là que pour toi. Maintenant, il est trop tard, nous la fermons. »
Nous pressentions qu’il n’y a de porte que pour celui qui osera la franchir, à tous risques, sans laissez-passer d’aucune sorte ; qu’il n’y a de sens que pour celui qui se met en marche, et que la vraie voie est unique.
Pour entrer dans la dialectique de l’hérésie et de l’orthodoxie, considérons l’ambiguïté fondamentale de l’expression de « voie unique ». Elle peut signifier aussi [p. 300] bien qu’il n’y a qu’une vraie voie, qu’une vérité viable, la même pour tous, à la fois générale et objective — ou au contraire qu’il y a pour chacun une voie, une vérité qui ne vaut que pour lui seul, particulière et subjective.
La « voie unique » peut encore évoquer :
— un système de principes confirmés concernant la conduite et la pensée, praticable par tous, en tout lieu et tout temps, et qu’on ne saurait violer sans s’égarer, — ou au contraire une forme d’exister sans précédent, qui ne peut être décrite ni prescrite mais seulement vécue, et une seule fois ;
— l’objectivité pure de la physique classique, dans laquelle la constitution de l’objet est indépendante de la manière dont on l’observe, et peut être vérifiée ubique et semper, — ou au contraire « l’actualité unique, irrationnelle » et donc « imprévisible »1 d’un événement qui dépend de l’observateur et de sa position hic et nunc ;
— Le way of life qui canalise les aspirations, uniformise les mœurs et unifie une société, — ou au contraire le cheminement secret qui conduit seul à l’intégration d’un moi distinct…
La « voie unique » peut donc désigner aussi bien l’orthodoxie que l’hérésie. On voit ici que ces deux phénomènes radicalement antinomiques sont en relation de complémentarité.
Note l. Les hérésies qui se constituent en doctrine imposée à une communauté dont elles deviennent alors l’orthodoxie ; et les systèmes dogmatiques imposés par les pouvoirs totalitaires ne m’intéressent pas dans ce contexte.
Note 2. Si, comme le veulent les dictionnaires, l’orthodoxie est la « droite opinion » et l’hérésie le « choix personnel d’une opinion », rien n’empêche en principe le « choix personnel » de se porter sur la « droite opinion ». Mais en fait, « la droite opinion » est une route nationale où la circulation est uniformément réglée, tandis que le « choix personnel » est un sentier imprévisible ; et ce n’est pas aux Ponts et Chaussées ni à la police de la route qu’il faut s’adresser si l’on cherche le chemin du Graal.
La complémentarité de l’orthodoxie et de l’hérésie apparaît désormais homologue d’une série d’autres paires antinomiques inséparables, dont les tensions déterminent le champ de la vie spirituelle :
- universel — particulier
- mythe — aventure individuelle
- dogme — expérience mystique
- Écriture sacrée — « vérification intérieure et personnelle du sens et des sens du Livre »
- objectivité de la Révélation — « subjectivité comme vérité présente à soi-même »2
- Église — fidèle
- Religion — Foi
- Cité — personne
Orthodoxie désigne couramment en Occident « conformité aux dogmes reçus », mais pourrait aussi bien qualifier selon D. Suzuki « ce qui est dans la ligne authentique de transmission », i.e. la communication non des formules d’une vérité toute faite une fois pour toutes, mais des moyens de découvrir personnellement la vérité. Dans ce second sens, le témoignage de l’esprit ne consiste nullement à réitérer ce qui est vrai pour n’importe qui, et encore moins à s’y conformer en s’y forçant comme dans un lit de Procuste, mais au contraire : à la découvrir (ou la ré-inventer) en se l’appropriant par la pensée, par l’action, par le sentiment.
Alors seulement, l’orthodoxie et l’hérésie en leur sens littéral, s’évanouissent : il n’y a plus de contradiction entre l’orthologie et l’autologie, la première — selon sa mission — ayant provoqué la seconde à éveiller des vocations incomparables et par définition sans précédent.
Dans le Post-scriptum non définitif et scientifico-polémique récemment ajouté à L’Amour et l’Occident, je parle « d’hérésies libératrices des âmes et d’orthodoxie [p. 301] conservatrices de la cité ». Une attitude personnaliste cohérente m’incite à tenir balance égale entre communauté et vocation, entre universel et unique. Mais ce n’est peut-être qu’une question de tempérament. Selon que l’on relève du type introverti ou du type extraverti, on sera porté à privilégier soit la personne, soit la communauté.
Il existe au surplus certaines correspondances entre ces types psychologiques et les grandes confessions chrétiennes. Certes, peu d’entre nous choisissent leur confession, la plupart se contentent d’y être nés ; mais ils s’en accommodent plus facilement et d’une manière plus féconde selon que cette confession offre un climat de bonheur (ou si l’on veut de créativité) à tel tempérament plus qu’à tel autre : ainsi le luthéranisme et l’orthodoxie russe favorisent l’intériorité mystique mais non l’éthique sociale ou politique, le catholicisme tridentin (comme aujourd’hui le communisme « orthodoxe ») attend des fidèles qu’ils optent en dernier ressort non pour l’Individu (au sens kierkegaardien) mais pour l’Église (ou le Parti), l’ordre et la gloire de l’institution. Entre les deux, le calvinisme originel enseigne l’équilibre en tension permanente entre la vocation de l’individu « élu » et le service de la cité.
Né ailleurs, mais, ayant choisi par une décision de ferveur — non moins profondément philosophique — les formes luthériennes d’une mystique aurorale, puis un temps la « Lumière de Byzance », Henry Corbin, « en islam iranien » cherche les voies de l’âme unique et de la vocation illuminante. Et cela nous vaut une œuvre vaste et passionnée dans sa rigueur, dont la maîtrise technique favorise, — ô miracle — l’ouverture à la haute poésie mystique, et qui possède une vertu de contagion que je voudrais dire convertissante.
(Pour moi, s’il faut en croire les tests que j’ai passés, je me verrais plutôt entre deux pentes, soit sur le chemin de crête, tenté par deux vertiges, soit au fond de la vallée, et tout effort pour m’élever d’un côté ou de l’autre aggraverait la séparation. Reste une seule solution, qui est de longer la rivière jusqu’à sa source, là où les deux pentes se rejoignent — seul moyen de les remonter les deux à la fois !)
L’aventurier de l’esprit suit le chemin qu’il invente en y marchant. « Ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier », dit le psalmiste. La lampe n’éclaire que le terrain où je m’avance, ce chemin qui commence à mes pas. L’homme de la foi ne suit sa voie qu’en la frayant, « sentier étroit », dit le Bouddha, et l’Évangile parle d’une « porte étroite », découpée à ta seule mesure, en sorte que toi seul puisses y passer. Elle n’est pas ouverte à l’avance : tu l’ouvres en osant la franchir tel que tu es en marche par la foi, et non tel qu’on l’entend — maîtres, coutume d’Église ou règlements de la société.
Comment pourriez-vous, « hérétiques », vous unir dans vos unicités ? Cela ne se fera jamais dans aucun Siècle, mais seulement en chemin vers le vrai but de tous, et en Lui seul.
D’ici là, l’Église véritable ne saurait exister que dans l’attente ardente et dans cette anxieuse espérance commune à tous les « hérétiques » malgré eux : ceux qui ont un jour compris qu’ils étaient bien forcés d’inventer leur chemin sans aucune garantie, puisque le vrai chemin, qui conduit l’homme à Dieu, part toujours d’une personne sans précédent.
Post-scriptum 1980
Le texte qu’on vient de lire fut envoyé à Téhéran longtemps avant sa publication, et Henry Corbin l’ayant lu s’en montra quelque peu perplexe, à cause du titre. Lors de son dernier passage à Genève, il suggéra qu’il avait probablement dû dire « ésotéristes de toutes les religions », plutôt que cet hérétiques qui m’avait frappé et dont j’eusse été fier d’avoir pu l’inventerc.
[p. 302] Tout amicale qu’elle fût, cette réticence marquée n’a pas cessé de me troubler. J’essaie aujourd’hui de comprendre qui de nous deux était le plus près d’une interprétation fidèle de sa pensée.
Dans une longue lettre datée d’Istanbul le 20 avril 1940, répondant à mon offre de collaborer à un ouvrage sur l’orthodoxie, ou de se charger d’un volume sur l’islam, pour une collection qu’on m’avait offert de diriger chez un éditeur parisien, Henry Corbin m’écrivait :
L’an dernier, je n’osais pas encore prendre part au volume sur l’orthodoxie. Maintenant je n’hésite plus ; ça me va tellement mieux qu’un livre sur l’islam ; puisque dans celui-ci je connais surtout les hérésies. Mais tout de même il faut maintenir le projet d’un livre sur la Religion d’Hermès ; mieux encore, je voudrais appeler ça : Les prophètes grecs. Je t’enverrai le schéma si tu le juges utile.
Les événements nous interdirent de donner suite à ces projets. Mais à la dernière page de sa lettre, il dit ceci :
Ravi que tu sois raccommodé par Barth. Moi, j’attends encore. Mais je ne nierai jamais, naturellement, le service qu’il nous a rendu. […] Au fond je suis de toujours et à jamais métaphysicien (les calvinistes appellent ça tout de suite un « gnostique », Mais tant pis pour eux). J’ai toujours creusé là-dedans, soit comme une taupe, soit comme un sîmorgh. Quand on m’a barré la route — « on », que ce fût Rome ou Genève — ça a toujours fait des catastrophes… […] Et toi, cher vieux Denys, tu es certainement aussi un métaphysicien.
Ces deux alinéas me confirment dans la certitude que j’avais bien entendu l’exclamation dans mon jardin telle que je la rapporte. Le « ou Rome ou Genève » ne saurait désigner ici que l’orthodoxie au sens courant du terme, légalisme ou littéralisme, l’un et l’autre ennemis jurés de toute espèce de gnose — ou de ce qu’on nomme ainsi pour s’en débarrasser.
Mais le besoin (anxieux) persiste en moi, bien moins de vérifier l’exactitude matérielle de l’exclamation prise pour titre, que d’en attester la réalité spirituelle, non seulement à ce moment-là mais tout au long d’une quête exemplaire.
Toute herméneutique, en ce point, devient indiscernablement « hérétique » au sens très précis ou « ésotérique » au sens que préférait Henry Corbin et auquel il se tient dans ses derniers écrits, quand il fait allusion au grand œuvre de recueillir en un corpus « les témoignages et les monuments de la religion gnostique universelle, éclose autour du phénomène du Livre saint »3.
Si les révélations du Livre saint (dans les religions abrahamiques) n’avaient qu’un sens historique, légaliste ou seulement déterminé par « un magistère dogmatique », il y a longtemps que « le Livre saint tout entier serait mort ». Le vrai sens est celui
qui ne cesse de se passer, chez les vivants jusqu’au Dernier Jour. C’est le sens qui concerne l’homme intérieur, un sens qui vise des événements bien réels mais qui ne s’accomplissent pas sur le plan physique de l’existence. C’est cela le sens ésotérique. […] Et c’est autour de ce Livre saint que nous voyons, partout et toujours, se regrouper des familles spirituelles ayant des traits communs.
Ce qui importe ici, et qui répond enfin en plénitude à ma question, ce sont les noms des auteurs invoqués, « les Spirituels du protestantisme »4, un Sébastien Franck, un Valentin Weigel, un Caspar Schwenckfeld ; tous les cercles qui ont été influencés par la théosophie de Jacob Boehme, ensuite par les Arcana caelestia de Swedenborg, sans oublier ni un Oetinger ni les kabbalistes chrétiens, dont on ne peut dissocier les kabbalistes juifs.
Et dans « l’herméneutique spirituelle comparée » qui s’esquisse ici5, ces mystiques luthériens et ces kabbalistes juifs convergent avec les théosophes chiites puis ismaéliens, de Rûzbehân et Ibn Arabi à Molla Sadra Chirazi et à l’école shaykhie.
J’ai pu remarquer, à maintes reprises, combien certains textes traduits en persan de Maître Eckhart ou de J. Boehme, voire certains épisodes de nos légendes du saint Graal, semblaient bien parler à ces jeunes collègues de l’université iranienne comme à des élèves représentatifs de la culture traditionnelle la même langue que la leur.
Je n’ai pas voulu recourir à d’autres « arguments » que ceux que me proposaient ces textes d’Henry Corbin lui-même. Il ne saurait s’agir ici que de ce qu’il nomme « une vérification intérieure et personnelle du sens et des sens du Livre qui est le [p. 303] bien fondement de la Communauté religieuse. » Je prends cette phrase dans un travail intitulé (ce qui dit tout) : « L’Attestation de l’Unique6 » — l’un des premiers où il parle des mystiques, dont la situation « n’offre aucune justification logique possible les garantissant contre l’anathème de la Loi religieuse confessionnelle ».
Voilà qui vaut pour toute mystique, aussitôt condamnée comme « hérétique », d’al-Hallaj à saint Jean de la Croix. Certes l’orthodoxie sera toujours fondée sur un texte : Bible ou Coran, évangiles et credo des grands conciles — tout cela restant vain, trompeur, invérifiable, tant que tout cela ne devient pas message qui m’est adressé à moi seul,
et dont le sens dépend d’une « vérification intérieure ». D’où le droit éminent que possède seule la Subjectivité divine de dire « Je » et d’en investir momentanément le croyant.
Dès là, rien ne saurait plus nous séparer. Nous avons fait ensemble quelques pas décisifs. L’un parfois aidant l’autre sans doute. Car les sentiers convergent, si chacun est unique.
Mais l’image du sentier qui se crée sous mes pas vers un but invisible à l’œil nu peut nous tromper, en ceci qu’elle n’est pas spatiale : le chemin se fait dans le temps de mon existence terrestre, va de naître à mourir non d’un lieu à un autre, et son but est toujours au-delà de l’horizon.
Une phrase d’Henry Corbin que j’ai depuis longtemps copiée dans mes tablettes, ne fût-ce que pour sa résonance présocratique, traduit ce qu’il faut dire ici en termes d’espace spirituel :
Le centre est partout où le centre est atteint.7
(Non pas où il est licite, ou commandé de l’atteindre.)
Au-delà de toute appartenance communautaire — Église ou secte, « loge invisible » ou disciplines d’un ésotérisme rigoureux — tous condamnés par une orthodoxie qu’ils vénéraient pourtant à leur manière, les grands mystiques n’ont pas dit autre chose.