Sur une page de Bossuet (ou Tradition et Révélation) (janvier 1936)a
Que nos amis catholiques nous permettent de relever tout d’abord un défaut très courant de la controverse1 avec la Réforme, en France : on oppose dix-neuf siècles de tradition universelle — dont quinze nous sont communs d’ailleurs avec l’Église romaine — à quatre siècles d’une tradition que l’on réduit au seul domaine français, sans même compter que nos églises ont subi de telles persécutions qu’elles ont été quasi anéanties durant la moitié de ce temps. Ne serait-il pas plus conforme à la probité historique et plus fécond pour la théologie de mettre en regard du catholicisme romain le protestantisme tout entier, luthérien, calviniste et wesleyen, voire anglican, dans ce qu’il a de spécifique et de commun au sein de sa diversité ?
L’on verrait mieux alors, que l’opposition réelle n’est pas, ainsi qu’on risque de le déduire de l’entreprise des Pères de Juvisy, entre « l’héritage du Christ » d’une part, et les dangers de déviations protestantes de l’autre2. L’on verrait mieux que l’opposition réelle est entre la conception « évangélique » et la conception papale ; entre la foi à la Révélation parfaite et suffisante, et le recours à la Tradition comme critère des révélations évangéliques. Ce qui s’oppose en réalité, [p. 9] c’est une doctrine du salut par la foi au sein d’une Église obéissant à la Révélation, et une doctrine du salut par l’Église, par une Église qui prend barre sur l’Écriture. Précisons encore ce schéma, qui ne prétend qu’à indiquer le lieu précis de la divergence : la Réforme prêche que le Christ est le chef absolu, souverainement adorable, de l’Église qui est son corps ; tandis que Rome affirme que la tradition et le pape détiennent « le secret du Christ » lui-même. (L’expression est de Bossuet.)
À la question ainsi posée, on me répondra probablement que mon antithèse est forcée et que mes définitions de la position catholique ne sont pas formulées en termes catholiques. Je comprends parfaitement à quel souci très légitime d’honnêteté, à quelle crainte très légitime de me voir combattre une caricature peut correspondre une objection de ce genre. Et pourtant, pour peu qu’on adopte la position des catholiques eux-mêmes vis-à-vis de leurs grands docteurs, on est obligé de constater que cette objection ne porte guère. En effet, « l’Église ne reconnaît une expression exacte de sa substance que dans la personne de ses saints », écrit le père Congar en une fort belle définition3. Or, si je cite une formule d’Augustin, qui est un grand saint, on me répond que cette formule lui est tout à fait personnelle, et l’on m’oppose une thèse thomiste ; laquelle est, à son tour, contestée par un Newman ou un Laberthonnière, dans des livres pourtant revêtus de l’imprimatur. Finalement, faute du concile qui aurait seul qualité pour m’éclairer, et qu’on ne saurait convoquer pour si peu, j’ai recours à quelque « Enchiridion », ou recueil des formules dogmatiques élaborées par les conciles et les bulles papales, donc simple catalogue de résultats, sans commentaires ni justifications. Serait-ce là le langage orthodoxe que je cherche ? Il est souvent contraire aux écrits d’Augustin ou de Thomas d’Aquin4, seuls témoignages qui nous restent de la « personne » de ces saints…
[p. 10] On pourrait remarquer que tout cela, même simplifié dans mon exemple, est bien complexe, bien contradictoire, et sous une apparence de précision rigide, bien propice aux interprétations, aux distinguos infinis par où le pire subjectivisme, celui de la prudence opportuniste, s’insinue jusqu’au cœur de la dogmatique romaine. On pourrait remarquer que le fidèle protestant a, sur le fidèle catholique, l’avantage sans prix d’avoir toujours à portée de la main le critère dernier de toute « formulation chrétienne », les évangiles et les écrits apostoliques. Mais mon propos est ici simplement de répondre à l’objection de nos frères romanisés. Si les formules par lesquelles je résume leurs croyances ne sont pas « à la lettre » catholiques, je dis :
1° que cela tient à ce que cette « lettre » est, pour nous tout au moins, pratiquement insaisissable ;
2° que cette « lettre » ne saurait m’importer davantage qu’au théologien catholique, lequel, s’il ne veut pas se borner à la pure et simple copie des formules élaborées par les conciles, est bien forcé de parler un langage personnel, dont il sera toujours possible d’affirmer qu’il n’est pas littéralement « catholique » (même s’il a reçu l’imprimatur !) ;
3° que ce n’est pas la lettre et la formulation des dogmes qui m’importent, mais la manière dont on en use dans l’Église romaine, mais le degré de sérieux qu’on leur accorde en fait, mais l’opinion commune qu’elles sont censées enregistrer.
Cette opinion commune, je suis certain de la traduire sans la fausser quand je dis que le catholique, en tant que tel, croit que l’Église est au-dessus de l’Évangile, qu’elle a barre sur lui, qu’elle dispose de critères qui ne sont pas tirés de lui5 [p. 11] et au nom desquels elle a le droit de l’interpréter, voire de le contredire dans sa lettre. Je suis certain de ne pas forcer le moins du monde l’antithèse lorsque j’affirme que cette opinion commune est un négatif absolu des positions fondamentales de la Réforme. Voilà l’opposition réelle, du noir au blanc, que nos frères catholiques ont tant de peine à distinguer. Et comment la distingueraient-ils quand l’effort perpétuel et d’ailleurs émouvant de leur théologie est de combler tant bien que mal tous les abîmes : ceux qui séparent l’éternel du temporel, Dieu de l’homme, la grâce de la nature, et la Révélation de notre raison ? Au point qu’on en arrive à se demander pourquoi le Christ a dû mourir pour triompher de notre péché, alors que la sagesse antique pouvait fournir l’amorce de si belles synthèses ! « Blasphème ! me dit alors un catholique. Ces synthèses ne remplaceront jamais les mérites acquis, par les souffrances du Sauveur : elles seraient au contraire tout imparfaites si la raison des scolastiques, éclairée par la grâce, n’avait su les achever en les incorporant à la tradition de l’Église, corps du Christ ressuscité ! » Réponse qui justement donne un exemple bien typique de la méthode romaine de médiation6. Cette tradition n’est, à vrai dire, qu’une transition, un terme transitif insinué entre des réalités radicalement hétérogènes. Si l’on croit sérieusement que le sacrifice du Christ est éternellement suffisant, on ne cherche pas d’autres moyens de surmonter la séparation originelle. On craint au contraire que tout autre moyen, fût-il « déduit » de la Révélation, ne voile la réalité de l’abîme, et ne détourne les fidèles de cette seule chose nécessaire, de cette foi au seul moyen de salut qui ait été donné aux hommes. Il en va de même du purgatoire, de l’analogia entis, de la grâce infuse, de la révélation progressive : termes transitifs [p. 12] introduits pour voiler, pour atténuer les scandales réels, et pour relier rationnellement ce que le péché a séparé.
Est-ce que je me trompe grossièrement ? Est-ce que la question n’existe pas, ou n’a pas d’importance aux yeux des catholiques ? Est-ce qu’ils se la posent parfois ? Est-ce qu’ils comprennent que leur attitude la pose ?
Si mes reproches leur paraissent porter à faux et révéler une simple méconnaissance des possibilités infinies d’interprétation dont dispose leur apologétique, s’ils me convainquent enfin de mon erreur, je m’en réjouirai hautement. Et je me sentirai d’autant plus libre de leur demander sérieusement, c’est-à-dire sans aucune intention polémique, ce qu’ils pensent d’un texte précis, et comment il se fait que le pape n’ait jamais, que je sache, condamné Bossuet pour avoir écrit ce qui suit. (C’est au sujet de la Messe, pour expliquer que les catholiques la célèbrent tout autrement que le Christ n’a institué la Cène) :
Que Jésus-Christ a donné un grand pouvoir à son Église dans la dispensation de ses mystères !… Il a permis à son Église de séparer ce qu’il avait mis ensemble… Et non seulement l’Église a cessé de faire ce que Jésus-Christ avait fait, et les apôtres suivi ; mais encore elle a pris la liberté d’interdire sévèrement cette pratique… Quand donc on veut s’imaginer qu’en ne recevant qu’une espèce, on ne reçoit qu’une cène et une communion imparfaites, c’est qu’on n’entend pas que c’est l’Église qui sait le secret de Jésus-Christ, qui sait ce qui appartient essentiellement à son institution, ce qui doit être dispensé diversement, selon les temps et les conjonctures différentes. (Méditations sur l’Évangile, lve jour.)
Bossuet ajoute :
Vous vous étonnez de ce qu’on sépare ce que Jésus-Christ a mis ensemble, et qu’on donne le corps à manger sans donner en même temps le sang à boire. Étonnez-vous donc aussi de ce que la Cène sacrée est séparée du souper commun ! Mais plutôt ne vous étonnez jamais de ce que l’Église fait. Instruite par le Saint-Esprit et par la tradition de tous les siècles, elle sait ce que Jésus-Christ a voulu faire…
Comme je citais cette page à un abbé fort écouté, dont les travaux marient avec aisance théologie et humanisme, il me répondit simplement : « Bossuet ne saurait être tenu pour un Père de l’Église que par un académicien ! » Boutade, en [p. 13] vérité, mais très « catholique » je le crains, si la « prudence » catholique consiste, comme je le montrais plus haut, à récuser l’une après l’autre toutes les formules qui pourraient amener à poser la question d’une manière claire et nette, et à choisir. Car, enfin, si Bossuet, en écrivant cette page, a déformé la vérité, il le faut déclarer hérétique, de même que ceux qui lui donnèrent l’imprimatur. Et si Bossuet n’a pas déformé la vérité, pourquoi serait-on gêné par sa franchise ? Il ne dit rien dans ce que je cite que le concile de Trente n’ait dit ou n’ait permis de dire7. Seulement, il le dit en français. Or, c’est précisément ce que je cherche : l’écho des formules orthodoxes dans la conscience des fidèles, et des fidèles de ce pays de France dont on ne peut nier que Bossuet soit l’un des classiques préférés8.
Une fois définie la valeur de cette objection préalable, que pourraient nous opposer les catholiques, si nous les pressions de nous rassurer sur un texte qui nous inquiète, nous sommes en droit de poursuivre l’examen des « réflexes catholiques » que ce texte trahit. Reprenons donc la page de Bossuet : « … Le Sauveur a-t-il voulu laisser aux hommes à distinguer par leur propre sens ce qui était la substance de l’institution d’avec ce qui ne l’était pas ? » La Réforme, par Luther et Calvin, répond : [p. 14] non, Dieu seul connaît ce qui est de Dieu. Pour nous, ne connaissons de la volonté de Dieu que ce qu’il lui a plu de nous en révéler dans l’Écriture, et par l’action du Saint-Esprit, grâce auquel l’Écriture nous parle. Serions-nous donc d’accord ? Lisons plus loin : « Le Sauveur n’a-t-il pas voulu au contraire leur faire voir [aux apôtres] qu’il leur laissait son Église pour être une fidèle interprète de ses volontés, et une sûre dispensatrice de ses sacrements ? » Décidément, nous sommes d’accord. L’Église véritable est bien cela pour nous aussi. Nous ajouterons une simple précision : elle est la « sûre dispensatrice des sacrements » dans la mesure exacte où elle demeure la « fidèle interprète » des volontés de Dieu. Mais c’est ici que Bossuet nous arrête : « Qu’entendez-vous, nous dit-il, par “fidèle” ? — Nous entendons : fidèle à la Révélation donnée une fois pour toutes par Dieu lui-même dans son incarnation unique, dont l’Écriture témoigne. — C’est, rétorque Bossuet, que vous n’entendez pas que c’est l’Église, et non pas la seule Écriture, qui sait le secret de Jésus-Christ ! — Et d’où l’a-t-elle appris, si ce n’est de l’Écriture ? — Relisez-moi : « Instruite par le Saint-Esprit et par la tradition de tous les siècles, elle sait ce que Jésus-Christ a voulu faire. Elle a donc le pouvoir de séparer ce qu’il avait mis ensemble, de cesser de faire ce qu’il avait fait, et les apôtres suivi, et même de condamner sévèrement cette pratique. » — Si nous comprenons bien, l’Église prouve qu’elle sait le secret de Jésus-Christ, en ordonnant de faire tout le contraire de ce qu’il a dit ? — Exactement, et c’est là sa grandeur, ou, comme je l’écrivais, son grand pouvoir. »
Les positions sont nettes maintenant. Examinons alors l’origine du secret que l’Église, selon Bossuet et les conciles, détient et possède si bien qu’elle a sur lui ce jus uti et abutendi qui, selon le vieux droit romain, caractérise la propriété.
Si l’Église a le secret du Christ, c’est « qu’instruite par le Saint-Esprit et par la tradition de tous les siècles, elle sait ce que Jésus-Christ a voulu faire ». (Elle sait même qu’il a voulu faire le contraire de ce qu’il a fait.)
Qu’est-ce donc que cette tradition de tous les siècles ? [p. 15] C’est, nous répond l’Enchiridion symbolorum et definitionum de Denzinger, « l’autre source » de la Révélation, la première source étant la Bible (fons revelationis alter est traditio ecclesiastica). Nous la trouvons définie tout d’abord par le concile d’Éphèse (431) comme étant la fidem definitam a sanctis Patribus qui in Nicaea cum spiritu sancto congregati fuerunt. Aux formules de ce premier concile de Nicée, s’ajoutent ensuite celles des conciles d’Éphèse, de Chalcédoine, etc., etc. Puis, dès 514, les écrits d’Augustin. (Importante réserve indiquée en 1689 lors de la condamnation des jansénistes.) Puis les doctrines des théologiens, et surtout de Thomas d’Aquin (Encycl. de Benoît XV, en 1923, seulement !). Voilà qui est clair et sans mystère : la tradition, ce sont des textes. On peut les lire, si l’on sait le latin, réunis et classés dans n’importe quel Enchiridion.
Le catholique se tourne alors vers nous et nous exprime une sorte de pitié : « À quoi s’appuiera le protestant, avec, pour tout guide, une Bible… ou le témoignage intérieur du Saint-Esprit, qu’il sera bien incapable de différencier de sa nature à lui, de son époque et de sa formation ? »9. Autrement dit, on nous plaint d’être abandonnés à la seule inspiration de l’Esprit, à laquelle on n’accorde aucun pouvoir réel d’éclairer, de faire taire la nature, d’enseigner « objectivement » la vérité à l’homme « subjectif ». Et tout en mentionnant la Bible pour mémoire — « ces pâles écrits », dira le père Pinard de la Boullaye à Notre-Dame — on oublie simplement qu’elle est notre critère, ce « vis-à-vis » de l’Église dont parle Barth, et auquel doit se rapporter sans cesse toute prédication vraiment fidèle.
Cette méconnaissance profonde de la Réforme est la rançon fatale de la croyance romaine en la tradition considérée comme « l’autre source » de la Révélation. En réalité, c’est l’Église de Rome qui nous paraît à cet égard abandonnée à un subjectivisme redoutable. C’est ce que l’on peut voir aisément par l’examen du critère infaillible de discernement que représenterait la « tradition ».
[p. 16] En effet, sur quelle autorité se fonde-t-elle ? Sur les conciles. Et ceux-ci à leur tour ? Prenons le concile de Trente : « Sacrosancta œcumenica et generalis Tridentina Synodus in Spiritu sancto legitime congregata… », et, plus loin : « Itaque ipsa Synodus a Spiritu sancto… edocta… declarat. » Cela est clair encore : l’autorité des conciles se fonde sur l’inspiration du Saint-Esprit.
Comment ce Saint-Esprit sera-t-il contrôlé, si j’ose dire, et « différencié de la nature » des prélats, de leur époque et de leur formation ? Par la Bible ? En principe, oui. Mais le principe a beau être affirmé en droit, il est en fait négligé, et à tel point négligé qu’il n’y aura pas grand-chose à faire pour le ruiner plus tard en droit. C’est ce que fit le concile du Vatican (1869-1870. Cap. 2 : de revelatione, de interpretatione S. Scripturae) en déclarant que l’Écriture ne peut être interprétée que selon l’Église, et en particulier selon les décisions du concile de Trente. La tradition est ainsi substituée à l’Écriture comme critère des inspirations de l’Esprit saint. Mais la tradition, ce sont les conciles. Inspirés par l’Esprit saint, ils ne sauraient être, en bonne logique, ses juges. Il faut donc admettre ou bien que les conciles sont le seul critère des conciles ; ou bien que l’Esprit saint est le seul critère de l’Esprit saint.
Le premier terme de l’alternative revient à consacrer en droit l’arbitraire le plus absolu. Pratiquement : un opportunisme qui nous apparaîtra toujours excessivement « politique »…
Le second terme, vrai en soi, et que nous croyons de toute notre foi10, devient faux et ne traduit qu’un subjectivisme absolu dès qu’on le sépare de l’Écriture, qui nous fournit son critère objectif.
Pourquoi nos frères catholiques nous reprochent-ils notre subjectivisme, à nous qui reconnaissons un critère objectif, la Bible, alors qu’ils ont tout fait de leur côté pour évincer ou, en tout cas, pour relativiser ce seul critère ? Comprennent-ils toute la gravité de la question ?
[p. 17]En vérité, la question que pose la page de Bossuet ce n’est pas seulement la question capitale de la Cène, c’est toute la question de la tradition et par là même de la Révélation.
Résumons brièvement ce développement :
L’Écriture dit, à propos de la coupe de la Sainte-Cène : « Buvez-en tous ! » L’intention « secrète » du Christ, intention que Bossuet loue l’Église d’avoir exécutée, n’est donc pas contenue dans l’Écriture. Il faudra la chercher alors dans l’autre source de la Révélation : la tradition. Nous avons vu que, pratiquement, la tradition est index sui et falsi. On se demande alors sur quelle base « objective » ou « subjective » les docteurs catholiques se sont fondés pour opposer à la tradition de leur temps (qui était encore le « Buvez-en tous ») un démenti formel (le prêtre seul peut en boire), devenu par la suite partie intégrante de la nouvelle tradition, contradictoire à l’Écriture. Le cercle n’est-il pas vicieux ? Le scandale de cette innovation (et de tant d’autres) serait-il devenu moins grand, avec le temps, qu’il ne l’était en 1569 ? La tradition serait-elle une sorte de promotion « à l’ancienneté » des erreurs les plus manifestes des conciles ?
La question peut paraître brutale, simpliste. Elle manque certainement d’« onction ». Est-ce assez pour qu’on l’écarte ? Ne se pose-t-elle jamais aux catholiques ? Pourtant, je les sens inquiets, et c’est pourquoi j’espère.
L’inquiétude catholique procède de ce doute profond : la Révélation évangélique éclairée par l’Esprit est-elle vraiment suffisante ? Ne faut-il pas la compléter, la garantir, contre nos faiblesses humaines par une assurance humaine, la tradition ?
Tout l’effort dogmatique des conciles se fonde dans cette inquiétude11, qui a conduit l’Église de Rome à statuer qu’il [p. 18] existe, à côté de la Bible, une autre source. Tout l’effort dogmatique des conciles consiste à accumuler des assurances contre tous les « dangers », possibles, qui se ramènent au seul danger que la Parole ne parle pas, que l’Esprit soit mal entendu, c’est-à-dire que la foi défaille. Mais quelle cohérence logique, quelle continuité, quelles grandeurs visibles ou quel ascétisme, quelles pompes cultuelles ou quelles humbles œuvres pourront jamais nous garantir ce miracle : que l’Écriture parle, qu’elle parle clairement, ici et maintenant, que je la croie, que je lui obéisse et qu’elle me sauve ?
Frères catholiques, à la question que vous adressez à la Réforme, du haut d’une grandeur traditionnelle mal assurée, — trop craintivement, trop méticuleusement, trop humainement assurée — nous n’avons qu’une seule réponse, mais une réponse certaine, une réponse qui n’est pas nôtre : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » (Jean 6:29) Si vous croyez cela sérieusement, si vous croyez à cette autre parole qui est comme un commentaire de la première : « Ma grâce te suffit »12, vous retrouvez le sens de la vraie tradition : celle qui n’est pas une « autre source », un vain renfort humain, mais la suite des témoignages rendus par l’Église historique à son chef, qui lui fut révélé dans l’Écriture, et non ailleurs.
Il reste à dire ceci : Et nous, croyons-nous assez « sérieusement » cela ? Croyons-nous assez sérieusement que les catholiques un jour peuvent le croire ? Sommes-nous déjà prêts pour cette unité ?