Université de Genève - Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation - Sciences de l'éducation

 

LIFE

Laboratoire de recherche

Innovation-Formation-Éducation

 

Séminaire de recherche LIFE 2001-2002

L'ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE


Notes de synthèse du séminaire du 29 mai 2002

Le travail organisant / instituant

Michèle Bolsterli

 

 

Textes de référence :

Quatre mémos sur l'organisation du travail d'apprenants.:

Andreea Capitanescu
Comment j'ai organisé mon travail et le travail des étudiants dans l'atelier : récit de pratique

Michèle Bolsterli
Une organisation du travail d'étudiants

Danièle Périsset Bagnoud
A quoi penser quand on organise une formation ? Comment est-ce que j'organise leur travail ?

Olivier Maulini
Le poinçonneur des curricula. Organiser, installer, planifier le travail d'une classe : angoisses et perfectionnements du bricoleur

 

1. Réactions à la lecture des quatre mémos

Ce qui a frappé d'abord au regard de l'ensemble des mémos concerne les contraintes institutionnelles dont la présence est constante partout en arrière fond; ce qui diffère est la façon dont chacun les intègre, la liberté que chacun se donne par rapport à elles. Les uns et les autres construisent dans un collectif à l'intérieur duquel ils s'inscrivent de manière plus ou moins proche; personne ne travaille en vase clos. Mireille Snoeckx a eu l'impression que c'est dans la classe qu'on est le plus libre (mémo d'Olivier): cela vient-il de la possession des lieux?

A travers les mémos d'Andreea et de Michèle, c'est leur propre travail qui est organisé; dans l'activité de celui qui prépare, on ne distingue pas ce qui relève de l'organisation du travail. Organisation du discours et organisation du travail apparaissent mélangés, tout en ne faisant pas exister de symétrie entre enseignant et étudiants. Les deux autres textes sont plus clairs sur cette distinction.

Notre définition de ce qu'est l'organisation du travail est-elle entrain d'avancer? Il s'agirait, à partir des mémos, de reconstituer ce qui structure la tâche. Tout ce qui serait organisation risque de passer sous organisation du travail alors que le travail d'organisation n'est pas l'organisation du travail; l'organisation du travail n'épuise pas le travail d'organisation.

Il faudrait plutôt s'attacher à ce qui relève du curriculum réel ou formel. Peut-on dire que l'organisation des contenus ne fait pas partie de l'organisation du travail? Si toute activité productive est du travail, organiser le travail, c'est éviter des dérapages, du désordre, etc. Un certain nombre d'activités à risque exigent de savoir ce qu'on fait et dans quelle succession. On ne comprend rien au travail si on l'enferme dans un débat sur le rapport moyens/fin. Pour organiser le travail, il est nécessaire de clarifier tout ce qui est sous-jacent à l'organisation du travail.

Les niveaux de chaque texte étant différents, il est difficile de poursuivre plus loin dans des comparaisons. Il est donc décidé de prendre chaque étude de cas l'une après l'autre, en commençant par le texte d'Andreea Capitanescu. Les autres mémos seront analysés à la rentrée prochaine.

Auparavant, quelques métaphores ont été utilisées afin d'essayer de voir, dans des situations d'organisation d'un travail plus concret car produisant des objets palpables (maison, voiture, peinture), ce qu'on veut construire et avec quel souci d'optimisation. Le passage par le détour sur des objets non scolaires est plus facile et pourrait permettre de mieux cibler les différents types d'objets organisés.

 

2. Métaphore de la "Toyota"

Pour fabriquer une voiture, il faut un découpage en objets et sous-objets; cela exige de savoir dans quelle succession sont effectuées les tâches. L'organisation de ce travail nécessite une visualisation de l'objet à fabriquer et dès lors que cette dernière est possible, cela permet de comprendre les règles à suivre pour y aboutir: le rapport entre l'objet à produire et la façon de le produire est clair, définissable, tout en pouvant être décrypté par chacun des acteurs concernés; l'articulation entre le discours et le travail présente une logique relativement simple et immédiate.

Il y a un rapport stratégique entre ce que représente le produit visé pour le travailleur et pour l'ingénieur ou le concepteur. Les critères de production des ouvriers ne sont pas les mêmes que pour ceux qui sont intéressés au bénéfice de la production. Pour les uns, il peut s'agir d'économiser ses forces, d'aménager au mieux ses conditions de travail tout en répondant à des critères de sécurité; alors que pour les autres, c'est la productivité qui importe.

Avec la Toyota, le produit est à reproduire, alors que dans les tâches face au produit humain, le but se précise au fur et à mesure de la tâche; on ne peut pas avoir la vision finale de ce qu'on veut obtenir ni savoir par avance comment vont exactement se succéder les étapes de production.

 

3. Métaphore de la maison à construire

Le particulier qui construit sa propre villa n'organise pas le travail mais effectue une commande et sait plus ou moins ce qu'il veut; la "maison de ses rêves" va correspondre à son budget (si possible…), au nombre d'habitants qui vont l'occuper, à son mode de vie, à ses goûts et va s'inscrire dans un plan localisé. C'est à l'architecte qu'il délègue la mise en plans et le suivi de la construction, tout en étant présent aux rendez-vous de chantier afin d'effectuer certaines régulations et de procéder au choix des matériaux.

Le chantier qui va procéder à la construction nécessite une organisation des interventions des différents corps de métier, une division en sous-processus qui vont contribuer au produit final. En général, c'est l'architecte ou un entrepreneur général qui organise le travail des autres et leur coopération mais qui se retire du travail.

L'objet à construire est la maison qui a été représentée par l'architecte, avec une carte conceptuelle claire, un langage commun, une géographie, le respect des règles du lieu; les étapes pour y parvenir vont se succéder dans un ordre linéaire imposé, sans possibilité de ne pas respecter la chronologie des interventions. Tout cela n'est pas le cas dans l'enseignement, puisque d'une part l'objet n'est pas visualisable et d'autre part l'enseignant organise son propre travail et le travail de ses élèves tout en dépendant des décisions prises par d'autres acteurs.

Si on voulait pousser plus loin la comparaison entre la maison à construire et ce que l'école veut bâtir, on pourrait se demander qui est l'architecte (l'institution?), quelles sont les règles à respecter (horaire, matériel pédagogique, programmes, espace, etc.?), qui sont les corps de métier (l'enseignant et les autres intervenants?), de quels matériaux est faite la maison (objectifs, moyens d'enseignement ?), comment se succèdent les étapes de sa construction (cycles ou degrés annuels?).

 

4. Et à l'école?

Il s'agit de savoir ce qu'on veut construire. On n'arrive pas à proportionner l'organisation du travail avec rationalité. Il y a des logiques d'optimisation qui ne sont souvent pas celles des objectifs à atteindre (produit). Trop de choses sont souvent visées et à faire en même temps : c'est comme si on demandait à l'architecte une construction qui soit à la fois une maison, un garage, un restaurant, un hôtel, un hôpital, etc.

A l'école, que veut-on produire? Le produit visé qui correspond à la Toyota ou à la maison est-il l'élève, les apprentissages de l'élève, ses acquis ou alors un objectif (ex. savoir lire le journal)? En tout cas, il n'est pas une reproduction comme la Toyota. Si on est dans la production, l'enseignant est sensé produire les conditions qui vont optimiser les apprentissages des élèves. Si on est aussi dans une production des acquis, cela pose la question de la négociation avec l'élève et du rôle de l'autoproduction qui entre en action.

On a besoin d'une théorie du produit pour pouvoir remonter la chaîne; ceci permettra la mise en place du dispositif qui est sensé produire le processus qui va produire le produit.

Le lien est à faire entre objectifs / effets de formation d'une part et organisation / utilisation du temps de travail d'autre part; il faudrait voir quelle logique prend le dessus.

En classe, il y a souvent des activités qui n'ont pas de finalités. Si on s'attachait d'abord au produit qu'on veut construire, on ne s'y prendrait pas de la même façon. Pour Olivier, si l'objectif est de produire des questions, c'est plus clair que de prétendre qu'on va produire du savoir. Selon Danielle Bonneton, au départ de la rénovation genevoise, les écoles se sont d'abord préoccupées des dispositifs en mettant de côté les objectifs. La logique est souvent qu'on travaille et qu'il va forcément se produire quelque chose.

 

5. Et en formation d'adultes?

Trois des mémos concernent la formation d'enseignants (initiale pour deux d'entre eux et continue pour l'autre); en outre, pour Olivier, son texte, selon lui, est en correspondance avec ce qu'il fait à l'université dans son groupe de base du module des approches transversales (et le site Internet). Danielle Bonneton adhère à la manière dont Olivier organise la classe, mais pas à la transposition de cela à la formation des étudiants où la topologie du lieu n'a pas la même importance.

Dans les formations universitaires auxquelles un moment de la discussion fait référence (licence mention enseignement), on se trouve en situation d'un travail instituant assumé par la même personne que celle qui l'institue; parmi les questions qui se posent alors :

Afin d'entrer dans la singularité d'un contexte, il est décidé de poursuivre la réflexion en travaillant sur un seul mémo à la fois. Celui d'Andreea va permettre d'entrer dans l'organisation d'un atelier destiné à des étudiants de première année LME.

 

5. Mémo d'Andreea Capitanescu

Son mémo déploie un questionnement autour du besoin de trouver une logique interne à ce qu'elle fait. La première partie ne traite pas de l'organisation, mais interroge la cohérence de ce qu'elle propose dans l'atelier avec ce qui est fait ailleurs; il s'agit plus d'une clarification du discours sous-jacent à ce qu'elle veut proposer. En amont de l'organisation du travail, il y a tout un espace qui a à voir avec les contraintes institutionnelles: une grande partie traite du module transversal lui-même. Sur quoi s'appuie-t-elle pour construire quelque chose? Quelle est la place de ce qu'elle fait par rapport à l'institution, à l'étudiant?

Les intentions qu'elle a sur les personnes sont-elles de construire des compétences ou des connaissances? La nature de ce qu'on veut produire en formation n'est pas forcément des acquis: ce peut être de la présence, de l'acceptation, de l'adhésion; il ne s'agit alors d'aucun développement durable, d'aucun apprentissage. Lorsque d'autres choses que le produit commandent il y a des effets pervers et si le produit n'est pas clair, on peut être piégé par de multiples autres aspects.

Le mémo d'Andreea illustre que l'organisation du travail est le parent pauvre du travail, qu'il a peu de liens avec le contenu; cela montre que l'organisation du travail n'est pas rationnelle mais dictée par le produit et les contraintes. La première partie de son mémo concerne les questions qu'elle se pose et le cadrage théorique dans lequel elle s'inscrit. Ce qui relève véritablement de l'organisation du travail n'apparaît véritablement que dans le deuxième paragraphe de la page 3 (partie transmissive puis consigne pour le travail en groupes) et dans la trace de l'atelier demandée aux étudiants qui aboutit encore à des questions.

Pour repartir sur les métaphores précédentes, on peut se demander sur quoi on s'appuie pour construire quelque chose (qu'est-ce qui correspond aux fondements de la maison ou au châssis de la voiture?) et tenter de préciser ce qu'on peut se donner comme critères de production; tout cela a des incidences sur l'organisation du travail, de même que la structure du produit. Selon ce qu'on vise, apprendre un contenu ou construire des compétences, on ne procédera pas de la même façon. Parmi les questions à poser, il y a celle de savoir ce qui doit changer entre le temps zéro et la fin.

La tension entre les intentions et les objectifs visés est permanente; il peut venir s'y ajouter des enjeux avouables ou non qui sont sous-jacents à des choix stratégiques comme par exemple la grille horaire dans l'enseignement secondaire: changer de leçon chaque heure est-il profitable aux élèves ou plutôt une condition de survie des enseignants?

La suite du travail sur les mémos pourra peut-être permettre d'avancer en parvenant à cibler ce qu'on veut construire, en définissant le produit ainsi que son rapport stratégique entre ce qu'il est pour l'organisateur et ce qu'il est pour l'apprenant.


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