Δεῖμος καì Φόϐος. Figures de la peur en Grèce antique
Qui a peur de Dionysos TAUROS ?
En Grèce ancienne, l’apparition de dieux et de déesses dans le monde des hommes faisait, dit-on, sourire la Terre de bonheur et naître des fleurs. Il est pourtant un dieu bénéfique dont l’apparition parmi les hommes pouvait semer la folie. Ce dieu, c’est Dionysos.
Cette applique extrêmement raffinée, ornée d’un buste de Dionysos, a probablement été réalisée à Alexandrie, au IIe siècle av. J.-C., et a décoré l’oreiller d’un lit de banquet. Pourquoi représenter un Dionysos cornu aussi effrayant sur un lit de banquet ? Fils de Zeus et de Sémélé, princesse de Thèbes, en Béotie, Dionysos est élevé par les nymphes et éduqué par Silène. Il devient un ravissant jeune homme, particulièrement chatouilleux sur la reconnaissance de son statut d’Olympien. Dieu de la vigne, du vin et de l’ivresse, il entend être honoré comme un dieu à part entière. Gare à ceux qui, sous prétexte de fidélité à la tradition, se refuseraient à le faire… Il se mue alors en un dieu terrible. Alors, une fois évanouies sa douceur et sa bienveillance, il ne reste plus qu’un dieu fou. Cette folie s’exprime ici à travers ce regard impérieux, presque de dément, et ces cornes de taureau qui se dressent sur son front. C’est Dionysos tauros
Si l’on en croit les auteurs anciens, Dionysos était appelé Taureau et figuré sous la forme d’un taureau en divers lieux du monde grec. Le taureau, dont l’image évoquait à la fois la sauvagerie indomptable et la puissance sexuelle, fut largement exploité dans la symbolique de l’Antiquité.
Dans la tragédie d’Euripide Les Bacchantes (écrite en 405 av. J.-C.), Penthée, roi de Thèbes et cousin de Dionysos, ne le reconnaît pas, lorsque celui-ci vient frapper à la porte du palais déguisé en prêtre d’un nouveau culte. Refusant de se soumettre à son culte et à ses rites étranges, Penthée enchaîne Dionysos dans un cachot de son palais. S’étant miraculeusement délivré de ses chaînes, le dieu lui apparaît subitement avec des cornes de taureau. Un signe annonciateur d’une débâcle imminente qui culminera avec la sanglante et sauvage mise à mort du jeune roi par la troupe des Bacchantes. Dionysos, caractérisé par Euripide comme « très puissant » et comme « très doux », s’est ainsi révélé à Penthée sous ses deux aspects opposés et complémentaires.
Sur cette applique en bronze, le costume de Dionysos évoque d’ailleurs ces deux aspects : au-dessus de sa tunique et sous le pan de son manteau de dieu grec, il porte la nébride, une peau de faon – un petit faon pourchassé, tué, écorché et déchiqueté par les Ménades en folie.
Moralité de cette image : que le banqueteur se soumette sans rechigner à Dionysos, l’honore de ses libations et se laisse porter vers lui dans les effluves de l’ivresse, sinon…
Publication antérieure : MOREL-DELEDALLE, Myriam (éd.), Migrations divines. Catalogue de l’exposition du MUCEM, Marseille, 24 juin au 15 novembre 2015, Arles, Actes Sud, 2015, p. 43-44 et p. 47, n° 25.