Δεῖμος καì Φόϐος. Figures de la peur en Grèce antique

Létô, ou comment fuir la jalousie d’Héra


La jalousie d’Héra, épouse du père des dieux, Zeus, est proverbiale. Les poètes et mythographes grecs racontent les épreuves qu’Héra imposa aux femmes aimées de son infidèle époux et à leurs enfants illégitimes : Io, Sémélé, Héraclès, même Athéna, pour n’en mentionner que quelques-uns. Mais ce fut surtout Létô, la mère d’Apollon et d’Artémis qui subit une hostilité particulière de la part de l’irascible déesse, qui la poursuivit avec l’acharnement farouche d’une épouse trompée.

 

Brève introduction audiovisuelle

 


Statuette en marbre, d’après l’inscription sur la base une dédicace d’un certain Attalos, fils d’Apollonios d’Antioche. Collection privée en Italie. H : 98 cm. Deuxième moitié du 4e s. ap. J.-C.

 

  • D’après Hésiode, Létô était la fille du Titan Céos et de sa sœur Phébé. Alors qu’elle était, selon les premiers mythographes, l’épouse de Zeus avant que celui-ci n’épouse Héra, elle devient chez les auteurs postérieurs l’une des nombreuses maîtresses du père des dieux qui attirent la colère d’Héra.
    Si Héra persécuta Létô, ce fut essentiellement pour l’empêcher de mettre au monde les jumeaux Apollon et Artémis, engendrés par Zeus. Sur son ordre, Arès et Iris refusèrent à Létô l’accès à tous les rivages où elle aborda. Elle envoya finalement le serpent Python à la poursuite de Létô pour l’empêcher d’accoucher. On raconte même que Létô avait dû se métamorphoser en louve pour échapper à la jalousie d’Héra.
    Au cours de sa fuite, Létô arrive à Délos (appelée anciennement Ortygie) et promet aux habitants de l’île en contrepartie de la possibilité d’accoucher un temple d’Apollon où « le monde entier se rassemblera (…) pour mener des hécatombes à tes autels » (Hymne homérique à Apollon, 51ss.). Les Déliens acceptent après quelques hésitations, mais l’accouchement ne fut pas chose aisée, car Héra retint Ilithye, la déesse de l’enfantement, pendant neuf jours et neuf nuits à l’Olympe pour retarder la naissance. Quand cette dernière surgit enfin à Délos « Létô fut à l’instant saisie par les douleurs, et eut le désir d’enfanter. Jetant ses bras autour du Palmier, elle enfonça ses genoux dans l’herbe tendre, et, sous elle, la Terre sourit. Hors du sein maternel, il (Apollon) jaillit à la lumière, et toutes les déesses lancèrent des cris » (Hymne homérique à Apollon, 115ss.). L’Hymne ne parle cependant pas de la naissance d’Artémis qui selon d’autres auteurs naquit en premier et aida sa mère à mettre au monde Apollon.


  • Vase à figures rouges. Ex Collection Hamilton. Johann Heinrich Wilhelm Tischbein, Collection of engravings from ancient vases, now in the possession of Sir W. Hamilton, Vol. III, Neapel, 1795, pl. 4

    En compagnie de ses enfants, Létô prit ensuite le chemin pour Delphes, où elle se heurta à Python, le serpent monstrueux : selon Hygin, seulement « quatre jours après sa naissance, Apollon vengea sa mère : il se rendit au Parnasse et abattit Python de ses flèches », installant du même coup son fameux sanctuaire oraculaire (Hyg., Fables CXL, 5, voir aussi Euripide, Iphigénie en Tauride 1239-1251). À la suite de ces épreuves et de l’amour inconditionnel qui les lie, les enfants Apollon et Artémis seront dévoués à leur mère. Obéissant à cet amour, ils vont tuer le géant Tityos qui tenta de la violer et massacrent les fils et les filles de Niobé, à la suite de l’insolence dont cette dernière fit preuve à l’encontre de Létô.
    Un vase à figures rouges qui se trouvait au 18e siècle dans la Collection Hamilton, mais qui est aujourd’hui malheureusement perdu, montre Létô portant ses deux nouveau-nés dans ses bras et fuyant l’énorme serpent Python qui sort de sa grotte à Delphes. Apollon et Artémis tendent cependant leurs bras vers le monstre, sans montrer le moindre signe de peur.


  • Statuette en marbre. Collection privée en Italie. H : 98 cm. Deuxième moitié du 4e s. ap. J.-C.

    Selon Pline (Plin. N.H. XXXIV,77), un groupe statuaire montrant Létô et ses deux enfants, une œuvre du fameux sculpteur grec Euphranor, était exposé dans le temple de la Concorde à Rome, mais rien n’en est conservé. Une petite statuette de marbre, un travail d’une excellente qualité, représente ce même sujet. Elle montre Létô vêtue d’un péplos et qui porte comme sur le vase ses deux enfants dans ses bras. Ces derniers sont à identifier avec les jumeaux divins à cause des petits arcs qu’ils tiennent dans leurs mains. Apollon, assis sur le bras droit de Létô, porte un himation drapé autour de son épaule gauche, tandis qu’Artémis, conservée seulement en partie, est vêtue d’une cape qui est maintenue sur sa poitrine par une boucle ronde. Les deux enfants portent sur leurs têtes des couronnes de laurier qui soulignent leur statut divin. Entre les jambes de Létô, on découvre Python se dressant en ondulant entre les plis de la robe de la déesse.
    La multiplication des attributs, qui devait faciliter l’interprétation de la représentation pour le spectateur, correspond à une création tardive de cette sculpture qui trouve son meilleur parallèle dans une statuette d’Artémis découverte dans la villa tardo-antique de Saint-Georges-de-Montagne (Bordeaux, Musée d’Aquitaine Inv. 71.16.1). Les proportions quasiment identiques et la combinaison virtuose de plis plats, adjacents ou en forme de trompette, le polissage de la peau et le dessin des cheveux indiquent que les deux œuvres pourraient provenir peut-être du même atelier de la seconde moitié du 4e siècle de notre ère.


  • Statuette en marbre. Rome, Museo Torlonia inv. 68. H: 92 cm. 2e s. ap. J.-C.

    La sculpture, d’une excellente qualité, fait partie d’un groupe de statuettes d’époque impériale, alors que les deux enfants ne sont attestés que dans une seule autre réplique au Museo Torlonia à Rome (Inv. 68), mais dans une disposition inversée. Sur une autre copie aux Musées capitolins (Centrale Montemartini, Inv. 993), seuls un pied et les restes du vêtement d’Artémis sont encore conservés. D’autres répliques ont été trouvées en Asie Mineure où des images de ce même groupe figurent sur des monnaies impériales. Mentionnons enfin la représentation de la Létô en fuite sur l’autel funéraire de Luccia Telesina au Museo Chiaramonti du Vatican (inv. 1877), qui reprend ce même sujet.
    Le sujet représenté donne une sorte de résumé du mythe: la fuite effrayée de Létô, désireuse de protéger ses enfants, va résulter dans la mort du monstrueux serpent, fléau de la région de Delphes.


    Détail de l’autel funéraire de Luccia Telesina. Vatican, Museo Chiaramonti inv. 1877. H: 1.34 m. Époque flavienne.

La statuette de Létô