Journée d'étude "Des Nourrices au banques de lait : commerce, économies du don et échanges symboliques autour des substituts du sein maternel", 26-27 juin 2013
26 juin 2013
Lorsque le lait donné à un enfant n’est pas celui de sa mère, l’allaitement dévoile toute sa complexité sociale et culturelle. Le premier lait contribue à conserver la vie des plus vulnérables, mais il est aussi réputé véhiculer, au gré de diverses croyances, des qualités morales et physiques dont l’importance et la nature varient en fonction du temps et des cultures.
Des nourrices aux banques de lait, les sociétés ont de tout temps mis en place des manières spécifiques de suppléer à l’allaitement maternel afin de répondre au mieux aux besoins de l’alimentation des tout-petits. Le commerce du lait pour les nourrissons et, par conséquent, les différentes formes d’allaitement qui en découlent, s’inscrit dans des systèmes d’échange dont la portée est à la fois économique et symbolique. Il est essentiel d’en saisir la grammaire, sur le plan historique, social et anthropologique. Pour mieux comprendre les enjeux familiaux, socio-médicaux et identitaires que comportent ces différentes économies de l’allaitement, on pourra dès lors s’intéresser aux pratiques et à leurs modes de représentation, qui en disent long sur le sens que l’on attribue, en un lieu et en un temps donné, à l’urgence de la prise en charge des nouveaux nés.
La journée d’études a pour objectif de faire le point sur les différentes configurations que peuvent prendre les transactions identifiées : l’allaitement non maternel, mercenaire ou symbolique, l’utilisation de poudres de lait commercialisées aujourd’hui comme du lait « maternisé », et le don gratuit de lait maternel.
Si la nourrice faisait un temps commerce de sa faculté de nourrir, sa prestation pouvait aller bien au-delà de l’exécution d’un simple contrat. Que donne la nourrice lorsque, contre rétribution, elle prête son corps ? Et qui est le destinataire de cette fonction supplétive ? L’enfant, la famille, le père ou la mère ? D’autre part, quand la nourrice n’est pas mercenaire, et qu’elle se présente en tant qu’allomère ou mère de substitution, quelles formes rituelles assume ce maternage nourricier et quels sont les enjeux du don? Enfin, le don de lait de la part d’une mère allaitant son enfant, en vue d’assurer la survie des grands prématurés, apparaît aujourd’hui comme un acte de libéralité calqué, dans sa gratuité, sur le don de sang. La transaction renvoie à l’interdit qui pèse sur l’échange de fluides corporels : il s’agit de soustraire, grâce à l’établissement d’un code éthique, cette circulation à la logique marchande. En même temps, qu’induisent la médicalisation du don de lait et la dépersonnalisation du transfert ?
Lorsque le lait est produit industriellement, le lien entre les corps semble s’appauvrir ; cela n’implique pourtant pas l’abandon de la notion de transmission primaire attribuée au lait. Alors que dans la première partie du XXe siècle, les poudres lactées ont pu être présentées comme une forme de progrès visant au bien-être social, en raison de leurs qualités nutritionnelles, la standardisation des laits « maternisés », est aujourd’hui remise en question voire associée polémiquement à une « standardisation » des enfants.
Quels sont les liens entre les alertes socio-sanitaires concernant la nutrition des nouveaux nés et les implications politiques du débat sur l’allaitement maternel? Comment lire l’ambivalence des messages? Enfin, à quelles images des rapports entre Nord et Sud, entre sociétés, styles de vie et relations de genre renvoient-ils ?
Pratiques d’ici et d’ailleurs, normes sociales explicites ou implicites, rites et mythes du passé et du présent, documents d’archives et d’actualité, images et récits peuvent nous renseigner sur la diversité des réponses possibles à la question des substituts du sein maternel. La journée d’études entend réunir des spécialistes de divers horizons des sciences humaines et sociales, qui seront appelés à réfléchir sur les composantes économiques, sociales et culturelles de cette circulation lactée, de l’Antiquité à nos jours.
Programme
Mercredi 26 juin
(Uni Bastions, salle B 112)
Conférence publique
18h15 : Marie-France Morel (Société d’histoire de la naissance): « Quand le lait de la mère n'est pas destiné à son enfant : allaitements sacrés et légendaires »
Jeudi 27 juin
(Uni Dufour, salle U 408)
Journée d’étude
9h00 : Accueil
9h15 : Nourrices et nutrition au moyen-âge : usages sociaux et
constructions littéraires
Préside : Marie-France Morel (Société d’histoire de la naissance)
Rebecca Lynn Winer (Villanova University)
« Maternité et rôle des nourrices chez les chrétiens et les juifs de classe aisé de Barcelone à l'époque médiévale »
Laetitia Tabard (Université de Genève)
« Entre nature et nourriture : représentations des désirs enfantins et échange amoureux dans la poésie du XVe siècle »
Discutante : Marie-Claire Gérard-Zai (Université de Fribourg)
10h45 : Pause
11h15 : Mère et/ou Nourrice : figures du monde antique
Préside : Véronique Dasen (Université de Fribourg)
Patrizia Birchler (Université de Genève)
« La trophos en Grèce antique: nourrice, éducatrice ou dame de compagnie? »
Sophie Gällno (Université de Genève)
« Du statut de mère au statut de nourrice de son propre enfant : allaitement et esclavage en Égypte romaine »
Discutante : Vinciane Pirenne (Université de Liège)
12h45-14h15 : Repas
14h15 : Questionner les « substituts maternels », de l’époque
moderne aux sociétés contemporaines
Préside : Irene Maffi (Université de Lausanne)
Cathy McClive (Université de Durham)
« Le filet sous la langue: un indice de l’expertise des nourrices dans la France modern »
Emmanuel Betta (La Sapienza Università di Roma)
« Une question ambivalente: l'Église catholique et l'allaitement »
Saskia Walentowitz (Institut d'Anthropologie Sociale, Université de Berne)
« Ni substitut ni complément: anthropologies de l'alimentation composite des nourrissons »
Discutante : Anne Cova (Institut en Sciences Sociales de l'Univ. de Lisbonne - ICS-UL)
16h30 : Clôture
Avec le soutien de :
Université de Genève
Maison de l’histoire
Faculté des lettres : Décanat ; Etudes genre ; Langues et littératures françaises et latines médiévales ; Unité d’histoire Suisse.
Faculté de médecine : Institut d’histoire de la médecine et de la santé
Institut d’histoire de la Réformation