Hommage à C. F. Ramuz (mai 1940)a
Le plus intéressant dans un recueil de mélanges ou d’hommages, c’est en général le sommaire : cette fois encore.
Voici le noyau des premiers ramuziens (à peu près le groupe des Cahiers vaudois), les deux Cingria, le peintre Auberjonois, Ansermet, Stravinsky. Claudel y touche de près. Cocteau y a des souvenirs, Maritain des amitiés. Pour la fête, on a invité quelques étrangers de marque : Thomas Mann, Zweig, Valéry. Et les quatre langues suisses — n’oubliez pas le ladin des Grisons — viennent dire au dessert leur couplet.
Ce complexe de mystique paysanne, de goût de « l’authentique », de musique russe, d’avant-garde ascétique, d’humour vaudois et de cosmopolitisme non pas à la manière de Genève mais à celle des troubadours, voilà bien la constellation ramuzienne. Rien de plus « Suisse » que ces créations spontanées, comme accidentelles, de centres européens dans un canton : Zurich au xviiie siècle, Coppet, Bâle au temps de Burckhardt et de Nietzsche… Mais le centre vaudois s’est distingué par sa méfiance à l’égard des « idées ». Son particularisme approfondi rejoint l’universel par les racines. C’est, comme ils disent, de la vraie « culture ».
Il faut mettre hors de pair, dans ce recueil, le Petit Ramusianum harmonique de Ch.-A. Cingria et Stravinsky : l’humour de l’authentique, si caractéristique du cercle ramuzien, s’y traduit en mirlitons acidulés et en mélodies savamment bêtifiantes de compliment d’anniversaire. Quant au « message » du poète, il s’exprime surtout dans deux portraits photographiques de Germaine Martin et de H. L. Mermod. Ce visage puissamment travaillé et simplifié, cet œil halluciné par le réel, c’est tout l’art [p. 698] de Ramuz exposé. Ici, tout le mystère se mue en forme et en physionomie lisible. Enfin, l’on est au-delà de la psychologie. « N’allez pas chercher derrière la forme, disait Goethe, elle est elle-même enseignement. »